Avec Pietrangelo Buttafuoco, la Biennale de Venise baigne dans un flou politique et artistique

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Rarement une conférence de presse aura été suivie avec autant d’attention. Le 31 janvier, dans la salle des colonnes du Ca’Giustinian, palais gothique sur le Grand Canal de Venise, les journalistes italiens écoutent le commissaire d’exposition brésilien Adriano Pedrosa dessiner les contours de la prochaine Biennale d’art contemporain, qui ouvrira ses portes au public le 20 avril. Celle-ci, promet-il, sera plantureuse – trois cent trente-deux artistes – et politique.

L’édition jettera la lumière sur les créateurs oubliés de l’hémisphère Sud, les arts délaissés comme le textile, les peuples autochtones spoliés de leurs terres et les minorités queer, Adriano Pedrosa rappelant qu’il est le « premier commissaire ouvertement homosexuel » de la Biennale. Quant au titre de cette édition, « Foreigners everywhere » (« étrangers partout »), il lui vient d’une œuvre de Claire Fontaine, un duo d’artistes installé à Palerme, œuvre qui renvoie au nom d’un collectif turinois antiraciste actif en Italie au début des années 2000.

L’intitulé est tristement prophétique, rappelle Adriano Pedrosa : selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le nombre de personnes déplacées n’a jamais été aussi important qu’en 2023. « Où que vous alliez, vous rencontrerez toujours des étrangers, poursuit le commissaire d’exposition qui dit avoir souvent été traité comme quelqu’un du « tiers-monde ». « Quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, vous êtes toujours au fond de vous un étranger », conclut-il.

Etonnant personnage

Tout en noircissant leurs carnets, les journalistes guettent les réactions de Pietrangelo Buttafuoco, le nouveau président de la Biennale, assis au premier rang, sexagénaire brun au visage anguleux. Nommé en novembre 2023 par le gouvernement de Giorgia Meloni, pour une durée de quatre ans, l’intellectuel est un soutien affiché de la première ministre italienne, dont le parti postfasciste Fratelli d’Italia pourfend les migrants, les militants LGBT + et l’antiracisme. Bref, tout ce qu’incarne cette nouvelle édition de la Biennale.

Le nouvel homme fort de la Biennale de Venise est un étonnant personnage. Né à Catane en 1963, ce diplômé de philosophie a fait ses armes dans Secolo d’Italia, l’organe de presse du parti postfasciste MSI (Mouvement social italien), dont son oncle était une des figures, ainsi qu’au très conservateur Il Giornale, qui appartenait à la famille Berlusconi. Mais l’anticonformiste signe aussi dans des journaux de gauche tels que La Repubblica ou le Corriere della Sera. Homme de lettres, auteur de plusieurs ouvrages, il a aussi été membre du comité ­central du MSI, puis d’Alleanza Nazionale, un autre parti d’extrême droite, jusqu’en 2003.

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