Quarante ans après, les trois figures géométriques brillent en fond de scène du Queen Elizabeth Hall, au bord de la Tamise. Le rond bleu et le carré jaune suprématistes pourraient être un hommage à Malevitch si n’était superposé un triangle rose, le symbole utilisé dans les camps nazis pour identifier les homosexuels. Comme un défi à la loi du silence.
Cette composition sur un fond noir funèbre – le virus de l’immunodéficience humaine, dit « VIH », venait alors d’être identifié comme la cause du sida – distingue l’album The Age of Consent, publié en octobre 1984 par un trio encore inconnu quatre mois auparavant : Bronski Beat. Jusqu’à la sortie d’un premier single, Smalltown Boy. Le falsetto du contre-ténor Jimmy Somerville illustrait la détresse d’un garçon victime d’homophobie sous le règne de Margaret Thatcher, rejeté par sa famille et poussé à s’enfuir parce qu’« [il] ne trouvera jamais chez [lui] l’amour dont [il a] besoin ». Le chanteur avait lui-même quitté Glasgow en 1980 pour trouver refuge dans des squats londoniens, un mois avant que l’Ecosse ne légalise l’homosexualité et ne finisse par s’aligner sur le Sexual Offences Act de 1967 qui l’avait décriminalisée – sous conditions – à partir de 21 ans en Angleterre et au Pays de Galles.
Ecrit à l’attention des solitaires et des réprouvés, Smalltown Boy, troisième du classement britannique et numéro un en Italie, aux Pays-Bas et en Belgique, avait conquis les masses. De quoi pousser l’avantage avec un album au titre revendicatif. The Age of Consent (« la majorité sexuelle ») était en effet accompagné d’un comparatif des législations européennes concernant les gays.
Convergence des luttes
Ce moment historique dans l’émergence d’une fierté queer au Royaume-Uni méritait d’être célébré pour son 40e anniversaire. Par une recréation le 19 octobre, au Queen Elizabeth Hall. « La voix de Jimmy Somerville m’a aidé à comprendre mon homosexualité avant même que je ne trouve les mots pour en parler, témoigne le producteur de la soirée, Laurie Belgrave, fondateur du label queer The Chateau. Et The Age of Consent demeure une grande inspiration pour les artistes pop, alors que celle-ci s’est éloignée des préoccupations politiques. Bronski Beat était très lié à l’organisation LGSM [Lesbians and Gays Support the Miners], qui avait apporté son soutien aux mineurs, lors de la grève de 1984. Ils avaient joué le 10 décembre au concert caritatif “Pits and Perverts” [“des puits et des pervers”] à l’Electric Ballroom de Londres, où Jimmy avait souhaité leur victoire et celle du socialisme. » Cette alliance improbable, restée comme un modèle de convergence des luttes, a été racontée dans le film Pride (2014), de Matthew Warchus, dont le personnage principal est le militant communiste Mark Ashton, mort du sida en 1987.
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