Soupçons d’inconduite scientifique pour un couple de chercheurs

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Huit ans après des sanctions contre un médaillé d’argent du CNRS, le biologiste Olivier Voinnet, pour manquements à l’intégrité scientifique, une autre médaillée de la science française est dans la tourmente. Avec une ampleur inégalée.

Le CNRS et l’université de Lille ont commencé fin novembre une instruction concernant plus de soixante articles d’un couple de chercheurs de l’Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie à Lille, spécialistes de l’élaboration de matériaux pour des applications en biologie (diagnostic, thérapie…) : Rabah Boukherroub, bientôt 58 ans, directeur de recherche au CNRS, à la tête de l’équipe, et sa femme, Sabine Szunerits, 52 ans, professeure à l’université de Lille. C’est la plus connue du couple, médaillée d’argent du CNRS en 2018, chevalier de la Légion d’honneur en juillet, détentrice d’une dizaine de brevets, et éphémère cofondatrice d’une start-up promouvant un test Covid (annoncée en mars 2021, l’entreprise a disparu un an plus tard). Ces dix dernières années, elle a publié plus de 20 articles par an (pour un total de 488 articles depuis le début de sa carrière, selon la base de données Scopus), avec une pointe à 42 en 2016.

Les signalements aux référents intégrité du CNRS et de l’université de Lille chargés de l’enquête ont débuté en novembre, faisant suite à une avalanche de billets sur le forum PubPeer, spécialisé dans la critique des articles scientifiques après leur publication, et qui sert souvent à dénicher petites et grandes fraudes. Cinquante-cinq articles coécrits par le couple depuis 2013 ont été signalés sur ce site, surtout à partir de mars. Six autres ne sont signés que de Rabah Boukherroub, et deux par Sabine Szunerits seule. De nombreux laboratoires, y compris étrangers, sont cosignataires, compliquant la recherche des responsabilités directes. Ni les deux principaux mis en cause ni des signataires contactés n’ont souhaité répondre au Monde.

Des anomalies suspectes

Le blogueur allemand Leonid Schneider, spécialisé dans la dénonciation des inconduites scientifiques, a mis en lumière cette affaire en octobre, puis dans un long article, le 6 décembre.

Lire le portrait d’un chasseur de fraudes : Article réservé à nos abonnés Leonid Schneider, un canardeur chez les chercheurs

Les erreurs relevées sont variées, inquiétant au minimum sur la rigueur du travail dans l’équipe. Des images de microscopie ou des courbes de mesures se retrouvent dans plusieurs articles, sans mentionner leur provenance, voire en leur attribuant des légendes différentes.

Au sein d’un même article, des clichés sont réutilisés, alors qu’ils décrivent des objets différents. Pire, certaines de ces réutilisations ne sont pas des copier-coller, mais des modifications de l’original : rotation, zoom, recadrage, étirement parfois.

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