vendredi, septembre 20FRANCE

Salman Rushdie atteint au vif de l’écriture

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L’écrivain Salman Rushdie, à Francfort, en octobre 2023.

« Le Couteau. Réflexions suite à une tentative d’assassinat » (Knife), de Salman Rushdie, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Gallimard, « Du monde entier », 272 p., 23 €, numérique 16 € (en librairie le 18 avril).

Le 12 août 2022, un projectile venu de loin a frappé l’écrivain américano-britannique Salman Rushdie, alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence dans l’Etat de New York. « Je vis l’homme en noir foncer vers moi en descendant l’allée située du côté droit des sièges. Vêtements noirs, masque noir sur le visage, il arrivait menaçant et concentré, un véritable missile », note-t-il dans Le Couteau. Réflexions suite à une tentative d’assassinat, à paraître jeudi.

Porté par une haine patiente, ce « missile » aura mis trente-trois ans à toucher sa cible principale. En effet, sa mise à feu remontait à 1989, lorsque l’ayatollah Khomeyni condamna à mort non seulement l’auteur, mais aussi les éditeurs ou les traducteurs, du roman Les Versets sataniques. « J’appelle tous les musulmans à les exécuter où qu’ils les trouvent », avait résumé le dirigeant iranien dans sa fatwa, déclenchant une vague de violences à travers le monde : émeutes meurtrières, autodafés de masse, librairies plastiquées… En Italie, le traducteur des Versets, Ettore Capriolo, frôla la mort après avoir été poignardé. Au Japon, son collègue Hitoshi Igarashi n’eut pas cette chance : on le retrouva dans un ascenseur, assassiné au couteau. En Norvège, l’éditeur William Nygaard fut visé par plusieurs coups de feu et s’en sortit par miracle.

« Miracle », le mot importe dans Le Couteau. Bien que profondément athée, Rushdie a été obligé d’y croire un peu, ce jour-là. Le « missile » l’a blessé quinze fois, aux bras, au cou, à la poitrine, au visage ; il lui a sectionné les tendons d’une main et l’a privé d’un œil ; s’il est parvenu à mutiler sa vie, il a échoué à la lui ôter. Voilà déjà un miracle. Ce livre en témoigne autant qu’il en célèbre les bienfaits ordinaires – retrouvailles amoureuses, familiales, amicales. Reste à savoir si ce premier miracle, existentiel, peut en produire un deuxième, littéraire celui-là. L’homme a survécu, mais qu’en est-il de l’écrivain ? Souvent souterraine, parfois explicite, cette question confère au livre son trouble et son intensité.

Passages douloureux

Car la réponse n’a rien d’évident. Certes, Rushdie fait face. Lui qui ne bénéficiait d’aucune protection policière au soir du 12 août s’avance maintenant sous bonne escorte, s’en remettant aux auteurs aimés, Voltaire, Kafka, Kundera ou Auster. Tous l’aident à mettre des mots sur l’épreuve. « Ce livre est cette prise en compte. Je me dis que c’est ma façon de m’approprier ce qui m’est arrivé, de le faire mien, d’en faire mon propre travail », écrit-il. Rien n’est moins facile, pourtant, et d’emblée on sent que quelque chose demeure en souffrance : Rushdie a été touché à même la peau, donc au vif du texte, à la racine de l’écriture.

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