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Cela fait plusieurs années que le thème de l’héritage navigue en sous-marin dans le débat public. Des travaux d’économistes apportent depuis au moins le début des années 2010 des éclairages réguliers sur la manière dont le patrimoine s’est progressivement concentré en haut de la pyramide, et documentent les effets néfastes de l’héritage sur l’économie et la cohésion sociale. Pourtant, aucune réforme sur le sujet n’est entreprise. Ainsi, alors qu’en 2017 Emmanuel Macron s’était érigé en Don Quichotte des rentes, il a renoncé un an plus tard à engager une telle réforme.
Dans le même temps, la concentration des patrimoines s’accroît inexorablement : l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) montre que les 10 % des plus aisés ont un patrimoine brut 163 fois plus élevé que les 10 % les plus pauvres et que le flux successoral est aujourd’hui trois fois plus élevé qu’en 1950, selon la note n° 69, de décembre 2021, du Conseil d’analyse économique (CAE). Dans ce contexte, réformer l’impôt sur les transmissions devient un impératif de justice fiscale, afin d’éviter que la France redevienne un pays d’héritiers, aggravant nombre d’injustices.
« Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » Si ces mots du Figaro de Beaumarchais sont répétés ad nauseam concernant l’héritage, c’est qu’ils résonnent deux cent quarante-cinq ans après avec la même actualité. Aujourd’hui, ceux qui détiennent un patrimoine le doivent en majorité à l’héritage : en 2019, il représentait 60 % de la valeur du patrimoine détenu, contre 35 % en 1970 selon le CAE. Dit autrement, il est plus probable d’avoir du capital en héritant qu’après une vie de travail à mettre de l’argent de côté tous les mois.
A rebours du talent et de l’effort
La raison en est connue : le capital croît plus vite que l’activité économique, souligne Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013). Donc celui qui ne doit sa richesse qu’au revenu de son travail aura peu de chances de rattraper celui qui possède du capital. Cette dynamique explique la surconcentration des patrimoines hérités : les 0,1 % des plus gros héritages sont 180 fois plus élevés que le patrimoine médian, alors que pour les revenus cet écart n’est que de 1 à 10.
Cette surconcentration de l’héritage rompt avec la promesse de justice sociale assurant que le talent et l’effort sont justement rémunérés, indépendamment des origines. Certes, il est toujours possible de trouver des contre-exemples, de Bernard Tapie à Kylian Mbappé, mais ces exceptions masquent la forte inertie sociale en France, et la part de responsabilité des héritages dans cette situation. Par ailleurs, ces héritages ne contribuent pas suffisamment à l’effort de redistribution. Alors que le taux de prélèvements obligatoires est de 45 % du PIB, les droits de succession représentent 0,6 % (projet de loi de finances 2023, évaluation des voies et moyens, tome 1) de la production nationale.
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