quand l’islam médiéval pensait la nature humaine

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Savants dans une bibliothèque abbasside. Enluminure du XIIIᵉ siècle.

« L’Arrivée de l’homme en Islam et sa disparition. D’Athènes à Bagdad », de Houari Touati, Vrin, « Etudes musulmanes », 512 p., 55 €.

Dans son nouvel ouvrage, L’Arrivée de l’homme en Islam et sa disparition, Houari Touati conteste l’affirmation de Michel Foucault (1926-1984) selon laquelle l’homme, en tant que concept défini, est une invention européenne de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe.

Le spécialiste du Moyen Age musulman, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, soutient en effet que ce concept prend sa source dans la Grèce antique, plus précisément dans l’Alcibiade, de Platon. Cette tradition philosophique a selon lui été ensuite transmise à Bagdad au VIIIe siècle, à travers les traductions arabes, jetant les bases d’une « science de l’homme » dans le monde islamique.

Conçue comme un complément à la science divine, celle-ci a néanmoins acquis une autonomie notable, qui a ­permis à la philosophie non seulement de se développer en tant que discipline ­distincte de la théologie, mais aussi de concevoir une doctrine du salut fondée sur la raison. C’est là un renversement anthropologique majeur. La moralité de l’homme n’est plus définie par l’obéissance aux normes éthiques transmises par la Loi révélée, mais par le fait qu’il est doué de raison, et dès lors capable de différencier par lui-même le bien du mal, de prendre sa place dans le monde et de se distinguer de l’ordre naturel des choses.

Houari Touati retrace patiemment l’émergence puis la constitution de cette science de l’homme non seulement chez les philosophes de l’islam qui ont clairement revendiqué l’héritage grec, tels ­Al-Farabi (872-950) et Avicenne (980-1037), mais aussi chez les tout premiers théologiens rationalistes, les mutazilites. Cette école théologique, qui insiste sur la primauté de la raison dans l’interpré­tation des textes religieux, émerge au VIIIe siècle et connaît son apogée au IXe siècle, avant d’être supplantée par une autre branche de la théologie rationaliste, l’acharisme, plus encline à souligner la toute-puissance de Dieu qu’à valoriser la raison humaine.

Débat crucial

A travers une enquête méticuleuse et érudite, l’auteur montre comment, du VIIIe siècle à la fin du XIIe, théologiens et philosophes, s’appuyant sur le riche corpus philosophique et scientifique grec traduit en arabe, ont exploré ce qui définit l’homme en propre. Le débat est crucial. Si l’homme possède une nature spécifique, qu’elle soit caractérisée par la raison (le logos), par le rire ou par sa capacité à utiliser ses mains, cette nature peut être étudiée de manière scientifique. L’anthropologie, la psychologie, l’embryologie, la science politique, bref, les « sciences humaines » se fraient alors une place dans les débats théologiques.

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