« Pour voir clair », un essai zigzaguant entre maths, politique et société

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Michel Broué, chez lui, à Montreuil, le 4 octobre 2023.

En avril 2024, le mathématicien Michel Broué, 77 ans, s’est retrouvé sur le devant de la scène, en prenant l’initiative d’une tribune signée dans Elle par cent hommes soutenant le mouvement féministe #metoo. Il était en fait déjà connu, mais plutôt des cercles scientifiques (comme dirigeant par exemple de l’Institut Henri-Poincaré pendant dix ans) ou politiques, pour son engagement en faveur de dissidents de divers pays ou pour raviver la mémoire du mathématicien Maurice Audin, assassiné par les militaires français pendant la guerre d’Algérie.

Ce grand écart, pour lui naturel, entre science, politique et société, est au cœur de son dernier livre, qui est l’occasion de clarifier sa vision de sa discipline et l’influence qu’elle a eue sur sa manière d’agir dans le monde.

Bien qu’il s’en défende, cet essai ressemble à des Mémoires, tant les souvenirs sont nombreux et le ton très personnel. Il s’ouvre sur une impertinence à l’adresse de son prof de maths, alors qu’il est en classe de 6e, d’où il tire la conviction que les maths sont la seule discipline dans laquelle un élève peut prouver à son prof qu’il a tort. La conclusion aussi est une leçon de vie, inspirée d’un théorème : ne jamais rien croire sur parole.

De sains énervements

Entre les deux, l’auteur se livre à une défense, comme attendu, de la méthode scientifique, faite de rigueur et de doute. Il loue les vertus des maths, qu’il compare au processus artistique. Il défend l’idée que la rigueur, les contraintes que les chercheurs s’imposent, les définitions d’objets « bizarres » sont des moyens très efficaces de comprendre le monde réel. Cependant, il juge la situation de sa discipline « catastrophique » en France, car faisant l’objet de caricatures injustifiées.

Le lecteur découvre là une autre facette de ce scientifique. Il s’énerve souvent. Outre ses attaques contre les détracteurs de sa discipline, il s’insurge plusieurs fois dans son livre contre l’ignorance, l’inculture scientifique des dirigeants, la malhonnêteté intellectuelle et les conventions de tous ordres. Politiciens, agresseurs sexuels, complotistes… en prennent pour leur grade. Ses cibles préférées sont qualifiées du néologisme « moitrinaire », censé désigner tous ceux qui se pensent au centre du monde et croient ce qu’ils voient. Rien de plus détestable pour l’auteur, qui estime que la science démontre l’inanité d’une telle « méthode ».

Entre ses sains énervements, Michel Broué propose plusieurs « interludes » pour mettre en difficulté justement le bon sens du lecteur – sur le haut et le bas, le nombre de couleurs de l’arc-en-ciel, la relativité restreinte, les pavages… Un inévitable passage maths et musique égaie aussi l’ouvrage.

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