« Pour certains, la lutte politique finit par tourner à l’aigreur, voire à la haine, si elle n’est pas alimentée par une forme de spiritualité »

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Les activistes climatiques de la Red Rebel Brigade défilent au Boston Public Garden lors de « Funérailles de la Nature » avec le groupe d’activistes climatiques Extinction Rebellion (XR), à Boston, Massachusetts, le 20 avril 2024.

[Marc Bonomelli est journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude du fait religieux et des nouvelles spiritualités. Auteur des Nouvelles Routes du soi. En immersion chez les nouveaux spirituels (Arkhê, 2022), il analyse dans une chronique mensuelle la spiritualité foisonnante de notre époque et la manière dont elle se réinvente. Des « néodruides » aux « soul surfers », ces « nouvelles routes du soi » semblent traverser tous les domaines, de la santé à la politique, en passant par le numérique, le développement personnel et, bien sûr, les religions.]

Méditation, yoga, thérapies holistiques, chamanisme… Les chemins de croissance personnelle des personnes engagées dans les nouvelles spiritualités sont souvent déclarés apolitiques. En quête de réalisation du Soi, ou d’un mieux-être, ces cheminants ont tendance à délaisser le militantisme ou l’activisme. Mais en cherchant la version la plus authentique de soi-même, renonce-t-on automatiquement à transformer la société ?

« Ni les dogmes ni idéologies »

De fait, m’assure le sociologue Dick Houtman, de l’université de Leuven, « les spirituels sont difficiles à mobiliser pour des actions politiques », et ce, d’abord pour une raison analogue à celles qui les tiennent à distance de l’appartenance à une religion : « Ils n’aiment ni les dogmes ni les idéologies imposées par une autorité extérieure à eux-mêmes (que ce soit celle d’une Eglise ou d’un parti). Et il n’y a, selon eux, pas de doctrine meilleure que les autres. »

Pourtant, relève ce chercheur en sciences sociales, les valeurs des « SBNR » (spiritual but not religious, « spirituels mais non religieux ») ont plutôt des affinités avec la « nouvelle gauche » (antiracisme, luttepour l’émancipation des femmes ou les droits des LGBT), plutôt progressistes, et surtout sensibles à l’écologie. Leur postulat est souvent que le soi authentique est intimement connecté à la nature, au « vivant ». Ainsi, préserver l’environnement signifie aussi préserver sa nature authentique, laquelle est sacralisée.

Mais, « de manière générale, une frilosité s’installe entre les mouvements militants et associatifs » de cette ligne politique, « dominés par la pensée marxiste [laquelle regarde plutôt d’un mauvais œil le spirituel et le religieux, considérés comme opium du peuple], et les milieux spirituels », relève Julia Itel, sociologue spécialisée dans les courants écospirituels.

Une dichotomie moins marquée en contexte anglophone, estime Julia Itel, où il est plus répandu de s’affirmer pêle-mêle en tant que spirituel et politique. Extinction Rebellion, mouvement écologiste citoyen né en Grande-Bretagne en 2018, ne fait ainsi pas mystère de ses liens avec l’écospiritualité et n’hésite pas à mélanger militantisme et happenings chamaniques. La cofondatrice du mouvement, Gail Bradbrook, revendique même l’utilisation de l’ayahuasca, un breuvage à base d’écorces de liane, à des fins de quête spirituelle.

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