
Les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), qui assiègent la ville d’El-Fasher, dans l’ouest du Soudan, depuis mai 2024, ont intensifié leurs attaques, fin août, pour faire tomber cette dernière grande cité du Darfour encore contrôlée par l’armée régulière. Pour les quelque 260 000 habitants piégés sous les tirs d’artillerie et les frappes de drones, la seule issue est une route jonchée de corps menant à Tawila, à 70 km à l’ouest. L’Agence France-Presse (AFP) a recueilli les récits de trois survivants qui ont réussi à s’enfuir à pied la semaine dernière.
Nazer Muhana Ali, 20 ans, a quitté El-Fasher parce que la vie y était « extrêmement difficile à cause de la faim et de la soif ». Originaires du quartier d’Al-Salam, Nazer et sa famille avaient quitté leur maison pour s’abriter dans une école située à quelques kilomètres à l’ouest, dans un autre district. Là-bas, dit-il, « à chaque repas, nous ne mangions que de l’ombaz », une farine d’écorce d’arachide destinée aux animaux, pas à la consommation humaine.
« Les bombardements étaient intenses, poursuit-il. Un jour, mon père et mon frère sont sortis pour travailler. En chemin, ils ont été touchés par une frappe de drone des FSR. Mon père est mort sur le coup. Mon frère a été emmené à l’hôpital. » Privés de tout, Nazer, sa mère, son frère et ses trois sœurs décident alors de rallier Tawila. « Les combattants des FSR nous ont arrêtés. Ils nous ont battus. Ils nous ont volés. Ils ont pris tout ce que nous avions », affirme-t-il.
La famille continue son chemin. « Nous avons passé quatre jours sur la route. Nous n’avions que de l’ombaz pour nous nourrir. Nous n’avions pas d’eau. La pluie est arrivée pendant que nous marchions et nous avons bu de l’eau de pluie. » Le cinquième jour, ils arrivent à Tawila. « Mais même ici, nous avons encore besoin d’abri et de nourriture. »
« Le plus dur a été la faim »
Adel Ismail Ahmed, 24 ans, vivait avec sa famille dans le camp de réfugiés d’Abou Chouk, dont les FSR ont déjà conquis une grande partie, au nord d’El-Fasher. « Un obus est tombé directement sur notre maison, mon frère et moi étions à l’intérieur. Ma main a été cassée et contient encore des éclats qui n’ont pas été retirés. Mon frère a été touché au cou et à la poitrine. » Les combats s’intensifient, ils choisissent la fuite.
« Nous n’avions pas l’argent pour les soins médicaux ou la nourriture, nos blessures ne parvenaient pas à guérir », se souvient-il. Il part de nuit vers l’ouest avec son frère. « Nous avons passé deux jours à dormir sur la route. Quand nous avons atteint le village de Golo, quelqu’un a creusé un trou sous un arbre et nous nous sommes cachés là toute la journée ». La nuit tombée, ils reprennent la route vers Tawila. « Quand nous sommes arrivés, mon frère et moi avons été emmenés à l’hôpital » soutenu par l’organisation française Médecins sans frontières (MSF) : « Ils ont nettoyé nos blessures. J’attends maintenant une opération. » Son seul souhait : « Des soins médicaux et un travail pour subvenir aux besoins de notre famille. »
Mohamed Siddig, 28 ans, a fui le camp d’Abou Chouk après des semaines de bombardements et de faim. « La pression est devenue trop forte, la vie était difficile », dit-il. « Je suis parti à pied mais j’ai été arrêté par des combattants des FSR. » Ils l’accusent, avec quatre compagnons de route, d’être lié à l’armée, avec laquelle les paramilitaires sont en guerre depuis avril 2023. « Nous leur avons dit que nous étions des civils, mais ils ne nous ont pas crus. Ils nous ont battus avec un bâton pour nous forcer à avouer. » Aujourd’hui, sa main gauche « ne bouge toujours pas correctement » et son genou est « enflé ».
Après quatre jours de captivité surgit une opportunité : « Je me suis juste enfui pour sauver ma vie. » Pour Mohamed, « le plus dur a été la faim », avec l’ombaz comme seule nourriture. Lui aussi a creusé un trou de fortune pour se protéger des bombardements. « Habituellement, deux ou trois personnes creusent un trou et se cachent à l’intérieur », mais « nous n’avons même pas pu le couvrir correctement ». Maintenant, à Tawila, « les choses sont mille fois mieux qu’à El-Fasher », dit-il : « Mais chaque jour, plus de personnes arrivent. Nous avons toujours besoin d’aide. »