
Gaza ou l’intolérable. Depuis des mois, et chaque jour plus encore, dirait-on. Cette situation est deux, trois fois, mille fois intolérable. Une première fois humainement, bien sûr, pour ce que subit la population civile, écrasée sous les bombes d’une armée qui, à l’américaine, croit pouvoir « éradiquer » (c’est-à-dire arracher une racine du plus profond du sol) en détruisant indistinctement tout ce qui est à la surface (les maisons, les hôpitaux, les femmes et les enfants, les journalistes, les ambulanciers, les humanitaires…).
La situation est, aussi, politiquement intolérable du fait que les voix sans nombre qui s’élèvent contre elle se révèlent désespérément impuissantes à partir du moment où les bombes américaines continuent d’être livrées et utilisées sur le terrain. [Le premier ministre] Benyamin Nétanyahou n’écoute plus – et depuis bien trop longtemps – le monde autour de lui : surdité tactique, profondément cynique, mais aussi suicidaire en son fond, apocalyptique et réduisant donc à néant toute possibilité de règlement politique à ce conflit.
Tout cela est bien connu, même s’il faut le répéter. Il y a cependant un troisième aspect de cette intolérable situation : un aspect psychique, dirais-je, qui touche en particulier les juifs de la diaspora. Ceux qui n’ont jamais rêvé d’un empire quelconque, seulement d’une vie citoyenne dans le pays, quel qu’il soit, où ils ont choisi de vivre. Ceux qui ne placent pas leur existence juive dans le creuset d’un Etat. Ils transportent sur leur dos, il est vrai, cet énorme poids nommé histoire, réuni en masses ou en tas plus ou moins bien rangés dans les méandres psychiques de leur mémoire.
Henry Meige, élève de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, a publié, en 1893, une thèse de médecine consacrée à ce qu’il appelait le « syndrome du Juif errant » : il s’agissait, bien souvent, de migrants clochardisés ayant fui les pogroms d’Europe de l’Est, et devenus fous pour avoir traversé tant d’épreuves. On les reconnaissait, dans les rues de Paris, parce qu’ils portaient sur leurs épaules d’énormes baluchons remplis d’objets minables, hétéroclites, inutiles mais sentimentaux.
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