
Livre. Il fallait bien une enquête de terrain aux dimensions inhabituelles pour appréhender la démesure du procès des centaines de viols commis sur Gisèle Pelicot par son mari, Dominique Pelicot, et ses 50 coaccusés. Mazan. Anthropologie d’un procès pour viols (Le Bruit du monde, 336 pages, 22 euros) est un récit mosaïque qui raconte, en 38 entrées, l’onde de choc des audiences au tribunal d’Avignon entre septembre et décembre 2024, et leurs répercussions intimes et collectives, jusqu’à faire « événement » au sens où l’emploie l’écrivaine Annie Ernaux, c’est-à-dire en ouvrant une « brèche dans l’organisation sociale ».
Pour décrire ce basculement, les 14 auteurs – dont une large majorité de femmes –, anthropologues ou doctorants, spécialistes en études de genre, au sein du laboratoire de science sociale Norbert-Elias à Marseille, se sont installés non loin du palais de justice d’Avignon à l’automne 2024 pour appréhender au plus près l’écho des débats. L’ouvrage restitue leur enquête, dont la première partie se consacre à l’espace judiciaire à travers ses acteurs, parties civiles et accusés, magistrats et avocats, familles et public, journalistes et agents de sécurité, plongés dans un tsunami organisationnel autant qu’émotionnel.
Dans ce tribunal sous-dimensionné par rapport au retentissement de l’affaire, le récit incarné par de nombreux témoignages met en lumière les rapports de force qui se cristallisent à l’audience – autour de la projection des vidéos, de la qualification du viol ou de la notion de consentement – et débordent la salle des débats pour investir les sous-sols autour de la machine à café et jusqu’au comptoir de la brasserie voisine.
Panorama saisissant
L’un des mérites de l’ouvrage est d’élargir le périmètre de l’enquête à la ville d’Avignon et au village de Mazan (Vaucluse) où, du commissariat aux lieux de culte, de la salle de sport au sex-shop, la médiatisation des audiences a ouvert des « espaces inédits de parole ». Dans ce territoire où « tout le monde connaît quelqu’un qui connaît un accusé », la multiplicité des témoignages offre un panorama saisissant des lignes de failles qui traversent la société sur la perception des violences sexuelles.
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