« L’erreur des partis qui ont prospéré en Allemagne de l’Ouest a été de croire qu’ils pouvaient importer leur modèle, tel quel, à l’Est »

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Bjoern Hoecke, tête de liste du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), lors de la campagne pour les élections régionales, à Suhl, le mardi 13 août 2024.

Professeur de sociologie à l’université Humboldt de Berlin, Steffen Mau a récemment publié Ungleich vereint (« Inégalitairement réunis. Pourquoi l’Est reste différent », Ed. Suhrkamp, 168 pages, non traduit). Dans cet essai passionnant, il explique notamment pourquoi le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) fait ses plus gros scores dans les Länder issus de l’ex-République démocratique allemande (RDA), ce qui devrait être à nouveau le cas, dimanche 1er septembre, lors des élections régionales en Saxe et en Thuringe, où l’AfD est crédité d’environ 30 % des intentions de vote.

Quand les Allemands de Bavière (Munich), de Hesse (Francfort-sur-le-Main) ou du Bade-Wurtemberg (Stuttgart) élisent leurs députés régionaux, personne ne précise qu’ils sont « de l’Ouest ». En revanche, quand on vote dans des Länder d’ex-RDA, comme c’est le cas dimanche, on rappelle volontiers que les électeurs sont des « Allemands de l’Est ». Cela veut-il dire que l’Allemagne, trente-quatre ans après sa réunification, reste un pays coupé en deux ?

Dans les années 1990-2000, l’idée la plus communément partagée était que l’Est allait « rattraper » l’Ouest. Sur le plan économique, cela s’est plutôt vérifié. Il y a vingt ans, le taux de chômage à l’Est dépassait de 10 points celui de l’Ouest ; aujourd’hui, il n’y a plus que 2 points d’écart. De même, il faut en finir avec l’image d’une Allemagne de l’Est qui n’est pas remise de la fermeture des anciens conglomérats de RDA : ces dernières années, il y a eu à l’Est des investissements considérables dans des secteurs d’avenir, comme les batteries électriques ou les semi-conducteurs.

Mais l’économie n’est pas tout, et dans d’autres domaines, le rattrapage n’a pas eu lieu. Je pense d’abord à la démographie. Berlin mis à part, l’Est a perdu 15 % de ses habitants depuis 1990, alors que l’Ouest en a gagné 10 %. Plus âgée et comptant proportionnellement moins d’immigrés, la population de l’Est est également plus masculine, avec parfois des ratios de 120 à 130 hommes pour 100 femmes dans les petites villes et les zones rurales.

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Ce n’est pas un hasard si l’AfD, dont seulement 20 % des adhérents sont des femmes, fait ses plus gros scores dans ces territoires où il y a une surreprésentation d’hommes célibataires, dont beaucoup sont pétris de culture patriarcale.

Déjà solidement implantée en Saxe et en Thuringe, l’AfD pourrait, dimanche, y obtenir des scores sans précédent. Dans votre livre, vous insistez toutefois sur le fait que, sur le plan politique, la singularité de l’Est ne se limite pas aux résultats particulièrement élevés qu’y enregistre l’extrême droite…

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