« Le silence sur Gaza met à nu de façon dramatique un point aveugle de nos cultures mémorielles »

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Naguère « champions du monde des crimes de masse », les Allemands pouvaient, jusqu’au 7 octobre 2023, se targuer d’être les « champions du monde de la commémoration », selon l’historien de la Shoah Götz Aly. Sont-ils désormais, face à Gaza, champions de l’aveuglement volontaire ?

Alors que le but proclamé de la culture mémorielle allemande reste, après Theodor W. Adorno (1903-1969) et son « éducation après Auschwitz » (1966), de façonner des citoyens éclairés, gardiens de la démocratie, garants du « plus jamais ça », il aura fallu de nombreux mois pour qu’enfin le chancelier Friedrich Merz semble, selon le journal Der Tagesspiegel du 27 mai, « découvrir la réalité » et tienne des propos « étonnamment clairs sur Gaza », quoique limités à des paroles sans actes.

Ce décalage avec le modèle mémoriel affiché n’est pas réservé à l’Allemagne. En France, où le « devoir de mémoire » constitue un véritable mantra politique et scolaire depuis les années 1980-2000, le président Emmanuel Macron, pourtant formé par Paul Ricœur (1913-2005) et sa quête d’une « juste mémoire », s’enhardit enfin à critiquer les actes « honteux » du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou.

L’euphémisme demeure cependant de règle pour désigner comme « drame » des crimes dont le caractère génocidaire apparaît chaque jour plus manifeste, en renvoyant aux historiens le soin de qualifier, « en temps voulu », ces crimes abondamment documentés, malgré le blocus israélien. Plusieurs historiens israéliens spécialistes de la Shoah, tels Omer Bartov, Amos Goldberg et Daniel Blatman, ont déjà qualifié de génocide la situation des Palestiniens de Gaza.

Face à l’insuffisance criante des réactions européennes – à de notoires exceptions en Espagne, Irlande, Norvège et Slovénie –, nous, historiennes et historiens, nous interrogeons sur ce que peuvent ou non les politiques de mémoire, et sur ce qu’elles ont produit aussi, à savoir un certain conformisme, une propension à l’aveuglement et à l’autocensure, des instrumentalisations politiques à l’intérieur comme à l’international.

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