« Le retour de Donald Trump pourrait signifier la fin d’une approche résolument identitaire de la culture et de la société »

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Parmi les raisons du triomphe de Donald Trump, il y a le machisme du champion, et puis, à rebours, le « wokisme » culturel, vivace sur les campus américains ou dans l’art, qui vient de prendre un sacré uppercut. L’électorat blanc mais aussi latino a pu être rebuté par des idées, des œuvres ou des pratiques visant à essentialiser les minorités tout en les valorisant. Cette avant-garde « woke », regardée avec mansuétude par la base du camp démocrate, s’est coupée d’une Amérique réelle, populaire et droitisée.

« On est allés trop loin. » Cette formule, en forme de mea culpa, on l’a entendue le 6 novembre dans la bouche de figures américaines du monde de l’art, présentes au salon Paris Photo, au Grand Palais. Ces dernières ne visent en rien la lutte contre les discriminations ou le mouvement #metoo, bien sûr, mais la façon dont la race et le genre ont vampirisé la création tout comme la recherche en sciences sociales.

L’Oncle Sam a pris le leadership sur un tribalisme culturel, que l’écrivain Philip Roth prophétisait dans La Tache (Gallimard, 2002). En 2017, alors que Donald Trump débute son premier mandat, la notion d’appropriation culturelle devient une accusation fort en vogue. Deux cinéastes femmes, blanches et engagées, Sofia Coppola et Kathryn Bigelow, sont attaquées parce que leurs films respectifs, Les Proies et Detroit, traitent un peu ou beaucoup de la question noire. Un autre procès en illégitimité est fait à la peintre Dana Schutz, au motif que son tableau Open Casket, dénonçant l’assassinat en 1955 d’un adolescent noir par des suprémacistes blancs, dessine une souffrance noire. La même année, après une polémique monstre, l’actrice hétérosexuelle Scarlett Johansson renonce à incarner à l’écran une icône transgenre.

Depuis, mieux vaut pour l’artiste aux Etats-Unis ne pas s’aventurer hors de sa culture, surtout s’il est Blanc ; avant on vantait son universalisme, aujourd’hui on dénonce son colonialisme créatif. C’est ainsi qu’en 2020 trois musées américains ont décalé et réduit une exposition de l’artiste blanc américain Philip Guston (1913-1980), au motif que ses tableaux dénonçant le Ku Klux Klan seraient une appropriation d’une douleur noire.

Un relativisme culturel s’est installé

C’est dans ce même pays qu’aucun éditeur prestigieux n’a voulu publier le sixième roman de Seth Greenland, Plan américain (éd. Liana Levi, 2023), au motif qu’il est Blanc et que son personnage principal est une actrice noire. Il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’on se pose une question impensable ailleurs : un artiste blanc peut-il photographier des Noirs ? On pourrait multiplier les exemples. L’acteur Tom Hanks a entériné en 2022 cette jurisprudence en disant qu’il refuserait aujourd’hui le rôle de l’homosexuel atteint du sida dans Philadelphia (1993), qui lui a valu un Oscar, en raison de « l’inauthenticité d’un hétéro jouant un gay ». Effaré, l’acteur Vincent Dedienne rétorquait alors, sur France Inter, que si Tom Hanks n’est pas gay, Denzel Washington, son avocat dans le film, n’est pas avocat dans la vie.

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