« La vision occidentale de la société iranienne, binaire, méconnaît sa réalité de plus en plus complexe »

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L’anthropologue que je suis – et je n’interviens qu’à ce titre – est abasourdie par l’écart entre la complexité de la société iranienne, que j’étudie depuis quarante ans, et le simplisme, pour ne pas dire l’ignorance, dont témoignent les gouvernements israélien, états-unien et européens pour conduire ou légitimer la guerre d’agression contre la République islamique. Frappe aussi la confusion des objectifs que se donnent les agresseurs : destruction du programme nucléaire ou changement de régime ?

Du point de vue du droit international, il s’agit bel et bien d’une guerre d’agression, dite « préventive », au nom d’un danger présumé et même sans doute fantasmé. Nétanyahou parle de la menace nucléaire iranienne, « existentielle », comme Poutine du « nazisme » en Ukraine. Selon un dicton iranien, « quand on veut commettre un forfait, on revêt un habit religieux »… Et quel est ce « bien » que l’on veut apporter à la population iranienne, ou ce « mal » dont on veut la débarrasser, en prenant cyniquement le risque d’un accident nucléaire au détour d’un bombardement, dont les civils seront les victimes pour des décennies ? Le Moyen-Orient a-t-il besoin d’un Tchernobyl, en sus de tous ses maux ? La démocratie s’impose-t-elle par les armes de l’étranger ?

On oppose donc le « bon » Iran, celui de la « société civile », du mouvement Femme, vie, liberté, de l’opposition en exil de plus en plus inféodée à la mouvance de Donald Trump relayée par quelques intellectuels en vue et par la majorité des médias conservateurs, au « méchant » Iran, celui de l’islam, des mollahs, de la « dictature » du Guide de la révolution, deus ex machina de la répression et du nucléaire.

Des enfants de Khomeyni

Cette vision binaire de la société iranienne méconnaît sa réalité, de plus en plus complexe du fait de sa diversité, de son urbanisation, de son éducation et de la démultiplication de son espace à l’échelle du globe par l’intermédiaire de sa diaspora. Elle en occulte aussi l’histoire. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils l’aient combattu ou non, tous les Iraniens sont des enfants de Khomeyni, largement étrangers au régime du chah, que la plupart d’entre eux n’ont pas connu, et tributaires d’une République qui les a façonnés. Pas seulement par la coercition, mais aussi par de multiples interactions, par un processus continu de cooptation au sein des institutions politiques ou économiques, par les liens familiaux qui réunissent au-delà des divergences politiques (ou, au contraire, dramatisent ces conflits en leur donnant une tournure fratricide).

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