« Juger Poutine et Nétanyahou implique nécessairement un procès équitable et contradictoire »

| 4 514


Le 20 mai, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, déposait auprès de la chambre préliminaire I des requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt en lien avec la situation dans l’Etat de Palestine. Nombreux ont d’abord pensé que les mandats d’arrêt avaient été délivrés, avant de comprendre qu’il revient désormais en réalité aux juges d’accéder, en tout ou partie, à la demande de Karim Khan.

La tâche n’est pas simple, et la responsabilité qui repose sur les épaules des juges est lourde. Ces derniers ont maintenant peu de marge de manœuvre pour rejeter la requête du procureur qui l’a rendue publique. Il est en principe rare à ce stade de communiquer sur le simple dépôt de requêtes. Mais il s’agit ici, à l’évidence, d’une situation sans précédent, sur laquelle la Cour est particulièrement attendue, et où l’avenir de la justice pénale internationale se joue plus que jamais.

Lire aussi aussi la tribune (2023) | Article réservé à nos abonnés « Le futur de la Cour pénale internationale se joue aussi en Palestine »

A supposer que les mandats d’arrêt soient lancés, il faudra alors compter sur la coopération des 124 Etats parties de la CPI pour arrêter les suspects s’ils se trouvaient sur l’un de leurs territoires. Tout reposera donc sur les Etats et leur bon vouloir.

Ouvrir « la porte à tout »

Dans l’hypothèse la plus probable où les suspects ne seraient pas arrêtés (on le voit à la difficulté que la Cour a encore pour appréhender Omar Al-Bachir), comment les juger ? Plusieurs voix s’élèvent et plaident pour le procès par contumace ou in absentia [en l’absence de la personne intéressée]. Un collectif de praticiens, porté par Catherine Mabille, Bruno Cotte et François Roux, propose ainsi de modifier le statut de Rome [nom du traité qui a créé la Cour pénale internationale] pour y inclure la possibilité de juger in absentia. Pour les universitaires Julian Fernandez et Serge Sur, l’impossibilité pour la CPI de juger par contumace la condamne au « rôle de spectateur engagé » [dans une tribune publiée dans Le Monde le 4 juin]. Beaucoup finissent par s’accorder sur la nécessité de « faire quelque chose ».

En pratique, la simple évocation d’une modification du statut de Rome a pourtant toujours effrayé la majorité des acteurs de la justice pénale internationale. Modifier le statut ouvrirait « la porte à tout », et surtout la porte de sortie : bon nombre d’Etats préféreraient se retirer de l’instrument juridique. Ces arguments trouvaient raison lorsque la Cour tombait en désuétude, qu’elle décevait.

Le regain d’intérêt pour la justice pénale internationale et pour la CPI n’a jamais été aussi grand, et les espoirs déçus, ravivés. En admettant que le statut de Rome soit modifié, comment jugerait-on ensuite Vladimir Poutine ou Benyamin Nétanyahou, deux chefs d’Etat qui se sont tous les deux fermement opposés à la Cour et qui ne reconnaissent pas son autorité ? Les juger implique nécessairement un procès équitable et contradictoire. Comment, donc, envisager un tel procès et comment assurer sa légitimité sans la présence et l’adhésion des accusés ?

Il vous reste 47.81% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link