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
Il est environ 15 heures, mardi 18 février, lorsqu’un cri de femme résonne sur le parking de l’hôpital général de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Une mère vient de reconnaître son fils de 23 ans à la morgue. Le corps de Malame a été retrouvé le matin même, fiché de deux balles, sur un trottoir du quartier de la Botte, non loin du gouvernorat.
En retrait, l’aîné de la famille, Emmanuel, observe sa mère s’effondrer sur le bitume. « Mon petit frère est sorti se vider la tête dans un bar vers 20 heures. Il a été abattu vers 23 heures », assure-t-il. La raison de ce drame, selon lui : avoir arboré un brassard de l’Alliance des forces démocratiques du Congo (AFDC), un parti politique présidé par Modeste Bahati Lukwebo, ancien président du Sénat et proche du président Félix Tshisekedi.
Après l’entrée dans la ville des rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23) appuyés par plusieurs milliers de soldats rwandais, vendredi, les habitants restent inquiets. Après Goma, la capitale du Nord-Kivu, fin janvier, Bukavu est la deuxième grande ville de l’Est à tomber entre les mains du M23.
Cette fois, la prise de la ville a été accompagnée de nombreux pillages, mais les combats ont été quasi inexistants. Alors qu’à Goma, plusieurs jours de combats avaient fait quelque 3 000 morts – dont de nombreux civils –, ici les militaires des Forces armées de la RDC (FARDC) ont préféré fuir avant l’arrivée de leurs ennemis, tout comme les Burundais venus les appuyer – Bujumbura ayant déployé 10 000 soldats sur le sol congolais pour faire face aux groupes armés.
Daniel Makutano, l’administrateur de l’hôpital général de Bukavu, a recensé deux morts et 44 nouveaux blessés dans son établissement depuis le 13 février, date de la reprise de l’avancée du M23 dans le territoire de Kalehe, à une soixantaine de kilomètres au nord de Bukavu. Ici, cinq personnes déclarent être des soldats des FARDC, qui combattent le M23 depuis sa création en 2012. Martin, 21 ans, préfère taire son nom par crainte de sanctions. Il a été touché il y a trois semaines alors qu’il combattait aux alentours de Beni, dans le Nord-Kivu. « Si je dois mourir, je mourrai ici, lance le jeune soldat. Mais je n’obéirai pas au M23. Je ne trahirai pas mon pays. »
« Les autorités sont trop faibles »
D’autres, dans ce dortoir, n’ont pas le courage farouche de Martin. Plus loin derrière, un vieux soldat des FARDC, gravement blessé lors des combats à Kalehe jeudi, confesse sa peur de savoir les militaires du M23 dans la même ville que lui. « Si le M23 apprend que je suis FARDC, ils me chercheront et me tueront. Oui, j’ai peur qu’ils me retrouvent », chuchote le quinquagénaire.
Joseph est installé sur un brancard, un peu plus loin, au fond du dortoir. L’homme de 33 ans a été touché par une balle samedi. « Je rentrais chez moi lorsque j’ai croisé la route des soldats du M23 sur la place Feu vert, raconte ce mécanicien. Je me suis mis à courir dans le sens opposé. Je me souviens avoir entendu des tirs, puis plus rien. » Une balle a perforé son thorax juste en dessous du muscle pectoral droit. Joseph ne croit plus en l’aide de son gouvernement : « Aujourd’hui, les autorités sont trop faibles, elles ne parviennent pas à combattre ses adversaires ? »
De Bukavu à Kinshasa, la capitale, située à 1 500 km à l’ouest, les critiques contre le président Tshisekedi se font de plus en plus entendre face à son impuissance. Plus de deux ans après le début de l’offensive du M23, l’avancée soudaine des rebelles et de leurs soutiens rwandais questionne sur leurs intentions finales. Iront-ils jusqu’à tenter de prendre le pouvoir à Kinshasa, comme l’a affirmé l’un de leurs dirigeants, Corneille Nangaa, après la prise de Goma ?
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Malgré ses appels répétés aux sanctions internationales, Kinshasa n’est pas parvenu, pour l’instant, à obtenir des mesures de rétorsion, aux Nations unies et à Bruxelles, contre le M23 et Kigali. Sur le plan diplomatique, les négociations sont au point mort. Le déplacement de Félix Tshisekedi à un sommet sur la sécurité à Munich, le 14 février, plutôt qu’à Addis-Abeba, où se tenait les 15 et 16 février un sommet de l’Union africaine (UA), n’a laissé aucune chance à la reprise de pourparlers.