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Nous rencontrons Mykhaïlo, sexagénaire, à Izioum, dans l’est de l’Ukraine. Il nous accueille devant son ancienne maison, un immeuble de cinq étages détruit par une frappe russe. Le 9 mars 2022, les troupes russes ont largué une bombe de 500 kg sur cet immeuble. A la suite de l’impact, une entrée entière du bâtiment s’est effondrée, créant un énorme trou à la place des appartements, des meubles, de la vie.
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Mykhaïlo a perdu sept membres de sa famille dans cette attaque : trois petits-enfants (âgés de 3, 10 et 15 ans), sa fille et son mari, sa femme et la tante de sa femme. Au moins cinquante-deux personnes sont mortes ce jour-là, presque toutes étaient au sous-sol du bâtiment.
Sa voisine, une femme âgée, criait très fort. Elle était écrasée et coincée au milieu des débris. Personne ne pouvait rien faire. Les combats ont continué : il était impossible d’appeler les secouristes, la police ou tout autre service. Les survivants, dont Mykhaïlo, lui ont donné de l’eau jusqu’à sa mort. Au bout de longues semaines d’attente, Mykhaïlo a pu retrouver les dépouilles de ses proches − cela n’est arrivé que le 12 avril, plus d’un mois après leur mort. Il a enfin pu les enterrer décemment, dans un cimetière.
Le mal impuni
L’homme a fait son odyssée depuis Izioum. Il est passé par les territoires occupés, certaines régions russes et les pays baltes pour retourner dans son pays. Il a retrouvé son fils et la famille de celui-ci dans le centre de l’Ukraine, puis il est retourné dans sa ville natale après sa libération, en septembre 2022. Comme Ulysse, il a fait un long voyage, et comme le Phénix, il cherche à renaître de ses cendres, devant les ruines de sa maison qui lui rappellent le mal impuni.
Comme Mykhaïlo, l’Ukraine revient dans les territoires désoccupés. Elle essaie de revivre dans des villages dévastés et dans des villes à peine remises de leurs blessures. Près de 20 % du territoire ukrainien restent encore à libérer.
Le peuple ukrainien n’est ni las, ni fatigué, ni impuissant. Mais plus on s’éloigne des terres dévastées, plus la guerre devient virtuelle. Elle s’incruste dans les écrans des smartphones et des télévisions. Plus on s’éloigne du champ de la guerre, plus, en revanche, on entend parler d’une fatigue de la guerre. Plus fortes sont les voix qui appellent à apaiser l’agresseur au plus vite et à moindre prix.
Spéculations
On a entendu des appels à cesser de fournir des armes à l’Ukraine, sous prétexte de ne pas nourrir les hostilités. On a aussi entendu des appels pacifistes à arrêter la guerre immédiatement, comme si c’était possible. On entend maintenant des spéculations sur la contre-offensive ukrainienne à venir : celle-ci doit obligatoirement être décisive et mettre fin au conflit. C’est maintenant ou jamais, nous dit-on : l’Ukraine n’aura aucune autre chance, car les armements commencent à manquer chez les partenaires aussi.
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