et Donald Trump cessa de dénoncer des élections truquées

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Donald Trump (au centre) aux côtés de son épouse Melania Trump (à droite), au Palm Beach Convention Center, en Floride, le 6 novembre 2024.

Donald Trump réclamait aux Américains une « victoire écrasante ». Il appelait ses électeurs à l’emporter par-delà la « marge de fraude » étrange concept attribuant au parti démocrate une capacité à truquer les élections si les résultats sont serrés. Le tribun américain a été exaucé : il n’a pas eu besoin que le décompte dans tous les Etats soit complet pour proclamer sa victoire, en affirmant avoir obtenu davantage de grands électeurs, et, pour la première fois, avoir remporté le vote populaire.

Vidéos de bulletins déchirés, migrants emmenés par bus entier pour voter illégalement ou encore « preuves » que des morts avaient voté… Les professionnels de la désinformation s’attendaient à une déferlante de désinformations des soutiens de Donald Trump après une élection serrée ou perdue.

Le camp trumpiste a brutalement cessé d’y faire référence au cours de la nuit du mardi 5 au mercredi 6 novembre (heure française). A l’image du milliardaire et influent soutien Elon Musk, qui a posté, sur X, un « Jeu, set et match » triomphal à l’annonce des résultats en Caroline du Nord, premier des six Etats-clés à virer au rouge. « Quand on a gagné, c’est toujours plus simple. Cela renvoie à ce que Donald Trump disait déjà en 2016, rappelle Julien Giry, chercheur en sciences politiques à l’université de Tours et spécialiste du conspirationnisme américain. “Si je gagne, c’est normal, si je perds, c’est la faute de la fraude.” »

Trump contestait les urnes depuis 2012

Cette victoire totale met fin aux sempiternelles accusations de tricherie de Donald Trump. Celles-ci sont bien plus vieilles qu’on ne s’en souvient. Dès juin 2012, il appelait à « en finir avec la fraude électorale », en visant le parti démocrate. Convaincu que Mitt Romney était en tête du vote populaire face à Barack Obama, il qualifiait l’élection de « mascarade » et appellait – déjà – à « marcher sur Washington ».

Même vainqueur, en 2016, il tweetait « qu’en plus d’avoir largement remporté le collège électoral », il avait selon lui « remporté le vote populaire si vous déduisez les millions de personnes qui ont voté illégalement ». Il n’en démordra jamais, et fera de la fraude électorale le thème central de l’élection 2020 et de son lendemain, au nom de « Stop the steal » (« arrêtez le vol »), jusqu’à l’invasion du Capitole, le 6 janvier 2021.

Malgré ses déboires judiciaires, le tribun n’a jamais renoncé à ce discours conspirationniste. Dès l’été, il a commencé à alerter contre de supposées tricheries démocrates. Jusqu’au milieu de la nuit du 5 au 6 novembre, il partageait sur X de nombreux appels à ses électeurs à « rester dans la queue », à voter malgré les files d’attente, et rapporter le moindre problème sur l’un de ses sites partisans, Protect the Vote (« Protégez le vote »). Un mouvement suivi par ses supporteurs. Sur Telegram, des groupes d’extrême droite se mobilisaient depuis des semaines pour « surveiller le vote ».

Mais cette fois, la rhétorique conspirationniste ne lui a pas servi à nier les résultats. « En 2020, elle est arrivée a posteriori, en tout cas dans les derniers instants de campagne, là il a fait campagne dessus au nom du peuple américain, observe Julien Giry. Ça a été un thème central, qui permet de fédérer contre des élites corrompues et mobiliser sa base électorale, et la faire mobiliser autour d’elle. »

Un flot de fausses informations depuis octobre

Une myriade de micro-récits suspicieux ont ainsi envahi les réseaux sociaux trumpistes depuis la mi-octobre, alors que le vote anticipé avait déjà débuté.

Le Monde

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En tout, le site de vérification américain Lead Stories a détricoté plus d’une soixantaine de fausses informations liées aux élections américaines depuis le 30 octobre, dont une vaste majorité portant sur de supposées fraudes électorales. Parmi celles-ci, la rumeur d’un marquage discret des bulletins pour faire gagner Kamala Harris dans le Kentucky ; une vidéo d’un primovotant, filmé de dos alors qu’il se prend en selfie en déposant son premier bulletin de vote, présenté comme une « mule » chargée de remplir l’urne avec de faux votes ; ou encore une vidéo bidon accusant les démocrates d’avoir truqué les votes de détenus dans trois Etats-clés.

A chaque fois, une anomalie mineure est montée en épingle. Un exemple, parmi tant d’autres : le 31 octobre, premier jour du vote anticipé dans le Kentucky, une électrice trumpiste se filme en train de tenter de voter, en vain, pour le candidat républicain : l’écran tactile semble ne pas vouloir accepter son choix. Des influenceurs trumpistes comme Nick Sortor s’en emparent pour affirmer que les machines de vote, déjà la cible des théories du complot en 2020, « ne permettent pas aux électeurs de voter Trump ». Sa vidéo est vue plus de 2 millions de fois. En réalité, ladite électrice appuyait au mauvais endroit de l’écran, mais son vote a finalement été correctement pris en compte.

Ingérences russes dans la dernière ligne droite

A l’origine de cette riche production, le rythme stakhanoviste des influenceurs complotistes protrump, prompts à relayer le discours suspicieux du candidat républicain. « C’est lié à la décomposition du mouvement QAnon, analyse Dusan Bozalka, doctorant en sciences de l’information à Paris-II, à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et à l’université George Washington. Q [le compte anonyme nourrissant la mythologie de QAnon] ayant arrêté de poster des messages en 2020, il a été remplacé par des influenceurs républicains qui ont fait du complotisme une carrière. C’est un gagne-pain pour eux, car cela génère du trafic et donc des rémunérations sur X. »

Le mouvement MAGA (acronyme du slogan de Trump, « Make America Great Again », « rendre sa grandeur à l’Amérique ») a également pu compter sur l’aide de groupes d’influence russes. A au moins trois reprises ces deux dernières semaines, les services de renseignement américain ont dénoncé des ingérences électorales visant à semer le doute sur l’honnêteté du scrutin, sous la forme de vidéos artisanales diffusées sur les réseaux sociaux. Sur l’une d’entre elles, un homme noir épluche des pseudo-bulletins de vote, et déchire ceux au nom de Donald Trump. Dans une autre, deux hommes noirs se présentent comme des migrants haïtiens s’apprêtant à voter Kamala Harris dans plusieurs bureaux de vote différents.

Les administrations des Etats de Pennsylvanie et de Géorgie ont formellement contesté leur authenticité. Ces faux ont été attribués à Storm-1516, un groupe de désinformation lié au Kremlin qui a déjà opéré en France lors des Jeux olympiques de Paris. L’internaute derrière le compte @AlphaFox78, un militant trumpiste qui a le premier relayé la vidéo des faux électeurs haïtiens, a expliqué à la chaîne d’information CNN avoir été rémunéré 100 dollars par un propagandiste pro-Kremlin pour la poster.

Ces intox ont-elles pesé ? « C’est difficile à mesurer, admet Julien Giry, qui pointe également la mauvaise campagne de Kamala Harris. On sait qu’en 2016, ceux qui avaient été exposés de manière massive aux théories du complot trumpistes appartenaient déjà à un public républicain captif, qui aurait voté pour lui quoi qu’il arrive. Mais cela sert aussi à étendre cet électorat, à obtenir des gains marginaux. » Et obtenir, comme l’espérait Donald Trump, une victoire « too big to rig », « trop large pour être truquée ».

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