En Turquie, une campagne anti-LGBT agressive

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LETTRE D’ISTANBUL

Des membres de la communauté LGBT lors de la marche des fiertés, un rassemblement interdit par les autorités, à Istanbul, le 25 juin 2023.

Ils sont une petite dizaine, des manifestants, jeunes pour la plupart. Debout, regroupés devant l’Opéra Süreyya, samedi 10 février, à Kadiköy, sur la rive asiatique d’Istanbul, ils ont à peine le temps de déployer une banderole en faveur des droits des LGBT avant d’être arrêtés par les forces de l’ordre. Sept d’entre eux finiront au poste. « Nous n’abandonnerons pas les villes à vos profits et nos vies trans à votre haine », proclamait le calicot. Le communiqué de presse qui devait être lu par les organisateurs de ce rassemblement, le Comité de la semaine de la fierté trans, disait « vouloir ainsi répondre aux attaques nourries et entretenues par le pouvoir politique et ses partenaires ces derniers temps ».

Dans une Turquie où la parole publique ne cesse, depuis des années, de prendre pour cible les communautés LGBT, interdisant les marches des fiertés, bannissant le drapeau arc-en-ciel et poursuivant des associations, la scène pourrait être banale. A ceci près que la rhétorique des autorités semble avoir élargi son champ d’action : la veille, sur sa plate-forme internationale, la télévision d’Etat TRT a commencé à diffuser une série documentaire appelée True Colours consacrée au « lobby LGBT ». Les épisodes, déclinés sur une demi-douzaine de thématiques, sont censés, selon la chaîne, « explorer les histoires inédites de ceux qui ont été affectés par la propagation de l’idéologie du genre ». Ils consacrent surtout une nouvelle dimension narrative du pouvoir, construite sur les discours les plus réactionnaires venus de l’étranger, très largement issus du monde anglo-saxon.

Parmi les personnes interviewées, face caméra, il y a, pêle-mêle, une professeure et militante féministe antitrans, un professeur « annulé » (cancelled) de certains réseaux académiques pour avoir condamné la « promotion de la sexualité aux enfants », une haltérophile canadienne suspendue par sa fédération pour avoir critiqué une athlète trans ou encore un enseignant renvoyé après des commentaires sur une adolescente en phase de transition. Le tout avec un sens des images efficace, du rythme et des incrustations à l’écran de mots comme « pédophilie », « suicide », « face cachée » ou « totalitaire », dans une logorrhée dramaturgique et obscurantiste qu’oseraient à peine les publications les plus radicales.

« Des paroles venues d’ailleurs »

« Cette campagne anti-LGBT est surprenante à plus d’un titre, a souligné Yildiz Tar, de l’association Kaos GL, sur la chaîne d’information en ligne Medyascope. D’abord, on a l’impression qu’il s’agit d’une enquête sur un crime façon spots nord-américains complotistes. Et puis, le plus troublant, c’est que la TRT est plutôt un média très local, alors qu’ici les intervenants sont quasiment tous étrangers. C’est un peu comme s’ils essayaient de légitimer leurs desseins en Turquie avec des paroles venues d’ailleurs. » Des paroles qui trouvent leurs origines au sein d’une extrême droite mondialisée, elle-même, note-t-il, « très antimusulmane ».

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