
LETTRE D’ISTANBUL
La chronique judiciaire en Turquie est un métier rare, un genre journalistique qui n’est pas sans risque et qui, contrairement à la France ou l’Italie, ne s’inscrit pas dans une longue tradition de presse indépendante et libre de ton. Le pays possède d’innombrables plumes talentueuses et enquêteurs courageux, mais pas de chroniqueurs réguliers des salles d’audience, restituant les petitesses et les misères des procès.
Plusieurs raisons à cela : l’opacité du système judiciaire (audiences parfois à huis clos, censure, recours immodéré aux témoins secrets), la forte judiciarisation du journalisme (poursuites pour diffamation, terrorisme, atteinte à l’Etat) et le manque de protection de la liberté de la presse, surtout depuis le coup d’Etat raté de 2016.
Pour mémoire, durant les purges qui ont suivi la tentative de putsch, près de 2 500 juges et procureurs ont été placés en détention et 1 600 avocats arrêtés. De quoi noircir ad nauseam les colonnes des journaux si les procès n’avaient pas été aussi expéditifs et contraires « aux règles universelles du droit, systématiquement détruites », comme l’écrit l’avocate Figen Çalikusu dans son Jugement du 15 juillet en 101 questions (non traduit, Zoe-Bellek, 2023). Cinq mois après le coup d’Etat, l’ONG Committee to Protect Journalists recensait 81 journalistes emprisonnés en Turquie, un record mondial. Ils étaient 166 en juin 2017.
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