
La Syrie a offert deux visages au cours des derniers jours, celui du pire, puis celui de l’espoir. Tout a commencé jeudi 6 mars avec une attaque contre les forces du nouvel homme fort du pays, le président de transition Ahmed Al-Charaa. Elle a été menée par des miliciens restés fidèles au dictateur Bachar Al-Assad, chassé en décembre 2024, dans le bastion côtier de la minorité alaouite dont il est issu.
Ces loyalistes ont tout à craindre d’une Syrie réconciliée avec elle-même, dans laquelle ils auraient à répondre des crimes auxquels la dictature restera à jamais associée. Mais les représailles sanglantes conduites par une partie des hommes du nouveau pouvoir contre cette même minorité ont ravivé le spectre d’un basculement du pays dans des violences interconfessionnelles sans fin, attisées par un fondamentalisme islamiste dont Ahmed Al-Charaa a été un adepte avant de s’en éloigner.
Soumis à son premier défi d’envergure depuis son arrivée au pouvoir, ce dernier a réagi rapidement en promettant de trouver les coupables des exactions et de les punir. Le président de transition n’a guère le choix. Son autorité tout comme son image sont en jeu. La commission d’enquête déjà en place (avec la présence d’alaouites parmi ses membres) est un premier pas, mais elle devra produire des résultats, et la justice passer, y compris pour ceux sur lesquels Ahmed Al-Charaa a pu s’appuyer par le passé.
Le calme était à peine revenu dans le bastion alaouite qu’un accord prometteur était annoncé à Damas, lundi 10 mars, sur le second front communautaire auquel les nouvelles autorités sont confrontées. Conclu entre le président par intérim et Mazloum Abdi, le chef des forces kurdes syriennes qui contrôlent le nord-est du pays, il écarte à court terme un risque de fragmentation qui condamnerait la Syrie à rester le jouet des principales puissances régionales, qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Iran ou d’Israël.
Rupture significative
Certes, cet accord de principe doit encore faire l’objet d’applications délicates, de l’intégration des miliciens kurdes au sein des forces de sécurité du nouveau régime au partage des revenus de la modeste production pétrolière et gazière d’un pays que la guerre civile et les sanctions internationales ont condamné à la déréliction. Il s’agit pourtant d’une rupture significative avec le traitement réservé à la minorité kurde pendant des décennies par la dynastie Al-Assad. Nul doute que le renoncement aux armes, en Turquie, du chef du PKK emprisonné, Abdullah Öcalan, le 27 février, a pu contribuer à cette percée.

Ces deux visages de la Syrie plongent certainement les pays qui peuvent avoir une influence positive sur son avenir dans les plus grandes interrogations. Il s’agit plus précisément de ceux pouvant peser sur le maintien ou la levée des sanctions liées au régime déchu, mais dont le pays continue de payer le prix. On peut comprendre que ces Etats préfèrent certainement pouvoir prendre la mesure de la volonté d’Ahmed Al-Charaa de reprendre le contrôle de la situation et de garantir la justice pour les crimes commis au cours des derniers jours.
Mais cette flambée de violence souligne également que toute absence d’amélioration de la situation matérielle des Syriens fera le jeu de ceux qui ne veulent pas la réussite de la transition en cours. Un échec serait pourtant la garantie de la perpétuation de leurs souffrances.