

Des « violences sexuelles généralisées » ont été commises durant et après la guerre dans la région éthiopienne du Tigré, avec notamment des « grossesses forcées » et de l’« esclavage sexuel », ont affirmé, vendredi 1er août, deux ONG de défense des droits humains, évoquant « des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».
Dans un rapport de près de 90 pages, les organisations Physicians for Human Rights (PHR) et l’Organization for Justice and Accountability in the Horn of Africa (Ojaha) affirment que « des violences sexuelles et reproductives généralisées, systématiques et délibérées liées au conflit ont été commises au Tigré et se poursuivent depuis la signature de l’accord de paix » de 2020 à au moins 2024.
« De tels actes constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, notamment des violences sexuelles, des grossesses forcées, de l’esclavage sexuel et des persécutions fondées sur des motifs ethniques, de genre, d’âge et politiques », poursuivent les ONG, affirmant que ces crimes ont été commis dans l’intention de « détruire les communautés et l’ethnie tigréenne ».
« Désir d’infliger de la douleur et de la souffrance »
Selon les deux organisations, qui se sont entretenues avec plus de 500 professionnels de santé au Tigré, la majorité des violences sexuelles, dont certaines l’ont été sur des mineurs, ont été commises par les Erythréens, et le sont toujours en « toute impunité ». De nombreuses victimes ont également affirmé avoir développé des maladies sexuellement transmissibles, dont le sida.
« Les responsables n’étaient pas motivés par le désir sexuel mais plutôt par le désir d’infliger de la douleur et de la souffrance », affirme dans le rapport un professionnel de santé. Selon une infirmière au Tigré, qui s’est entretenue avec des victimes de violences sexuelles, des pierres, des clous, et des morceaux de plastique sur lesquels étaient écrits des messages anti-tigréens ont été retrouvés dans leur utérus, les victimes ayant mentionné que « tout le personnel militaire érythréen avait reçu pour instruction de blesser le vagin des femmes tigréennes ».
Le conflit, qui a éclaté en novembre 2020 dans ce territoire du nord de l’Ethiopie, a opposé les forces fédérales éthiopiennes, appuyées par l’armée érythréenne et des milices locales, aux rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Au moins 600 000 personnes ont été tuées, selon une estimation de l’Union africaine.
Un accord de paix signé en Afrique du Sud a fait taire les armes en novembre 2022, mais des soldats érythréens sont toujours présents dans la région, ainsi que des milices amhara, du nom d’une région voisine du Tigré, hostiles au TPLF. L’Erythrée, dirigée d’une main de fer depuis son indépendance de l’Ethiopie en 1993 par Issaias Afwerki, entretient des relations tendues avec le TPLF, parti qui a dominé l’Ethiopie de 1991 à 2018. Une guerre a fait rage entre les deux voisins de la Corne de l’Afrique de 1998 à 2000 pour des différends frontaliers.
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Toutes les parties ont été accusées de crimes de guerre et, selon les organisations de défense des droits humains, la majorité ont été commis par les Erythréens.
« En ce qui concerne le terme de génocide, nous ne disposons pas de données pour le déterminer, mais les auteurs [des violences sexuelles] ont clairement exprimé leur intention de décimer le groupe ethnique tigréen, et les blessures physiques qu’ils ont infligées sont cohérentes avec cette intention », a déclaré auprès de l’Agence France-Presse (AFP) Lindsey Green, adjointe de recherche pour PHR et co-autrice du rapport.
Impunité
« Nous avons documenté des crimes horribles au Tigré », affirme Mme Green, ajoutant que, de 2021 à au moins 2024, « des violences sexuelles liées au conflit ont également eu lieu en Amhara et en Afar, où les auteurs ont exprimé leur intention de se venger des violences commises au Tigré ».
Interrogé par l’AFP sur ces accusations, le ministre de l’information érythréen, Yemane Ghebremeskel, n’a pas donné suite. L’armée éthiopienne, dont le porte-parole n’a pas non plus donné suite aux questions de l’AFP, ainsi que des milices amhara, ont aussi été accusées dans le rapport d’avoir commis des violences sexuelles.
Les milices venues de l’Afar, région voisine du Tigré, avaient également tenté – sans grand succès – de combattre les forces tigréennes durant la guerre. Les milices amhara se sont retournées contre les forces fédérales et les combattent depuis avril 2023.
« Il y a une impunité généralisée pour les violences sexuelles et reproductives liées au conflit en Ethiopie », s’alarme-t-elle, ajoutant : « Les auteurs de ces crimes ont agi en toute impunité, les victimes ont été réduites au silence, et la situation est problématique alors que nous constatons une nouvelle montée des tensions entre l’Ethiopie et l’Erythrée. »
Les relations entre Asmara et Addis-Abeba se sont de nouveau tendues, faisant planer le spectre d’un nouveau conflit entre les deux pays de la Corne de l’Afrique.