En Bulgarie, les gardes-frontières de Frontex contraints de fermer les yeux face aux abus

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« Il m’a regardé dans les yeux et a tiré. Je n’ai pas pu voir son visage, car il portait un masque noir. » Moustapha (son prénom a été modifié) se souvient avec effroi de sa rencontre avec un policier bulgare, au début du mois de mai. Après six jours d’errance dans les forêts turques, ce jeune Syrien de quinze ans avait enfin réussi à franchir la frontière bulgare. Mais l’espoir a été de courte durée : au bout de quelques heures de marche, le groupe d’une vingtaine de migrants avec lequel il voyageait a été intercepté par une patrouille de gardes-frontières.

« Ils ont commencé à tirer partout. Pas en l’air, mais sur nos pieds », se souvient le jeune homme, originaire de Deir ez-Zor, lui-même visé par trois balles non létales alors qu’il était à terre – « une fois, intentionnellement, dans ma jambe, et deux fois, près de mes jambes ». Son récit, recueilli par Le Monde dans le cadre d’une enquête entreprise par le réseau Balkan Investigative Reporting Network (BIRN), est confirmé par son dossier médical.

Sollicitée, la police aux frontières bulgare confirme qu’un policier a bien tiré ce jour-là « une balle non létale dans la région de la jambe droite » d’un migrant irrégulier, mais affirme que l’officier a agi « en état de légitime défense », après que le jeune homme a « tenté de [le] frapper avec une pierre » et de partir en courant. L’institution assure avoir mené une enquête interne sur l’incident, dont les conclusions ont été communiquées à la police militaire, sans préciser si des suites ont été données.

Après quelques jours à l’hôpital et un passage en centre de détention, Moustapha a été emmené à Harmanli, dans le plus grand centre d’accueil de réfugiés du pays. « Je veux porter plainte contre la police, a-t-il alors déclaré à Yahia Homsi, psychiatre au sein de l’ONG bulgare Mission Wings, l’une des rares à travailler en première ligne avec les migrants. Ils m’ont tiré dessus, et je ne veux pas rester silencieux. » Il a pourtant fini par y renoncer pour poursuivre son chemin d’exil vers l’Europe.

Le silence est en effet la réponse la plus fréquente aux abus commis par les forces de l’ordre bulgares le long des 259 kilomètres de sa frontière terrestre avec la Turquie. Et ce, malgré la présence massive sur place d’agents de Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières, chargée depuis plusieurs années d’aider la Bulgarie à appréhender les migrants qui tentent d’entrer irrégulièrement dans l’Union européenne (UE). Leur présence devait permettre d’accroître le respect des droits fondamentaux – comme le non-refoulement, le droit à la sécurité ou le respect de la dignité humaine – et le signalement des actes répréhensibles.

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