

La désinformation à propos de l’Afrique s’est démultipliée depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, y compris sur le continent. Les chercheurs observent un « changement radical » dans les médias en ligne, poussé par l’agitation géopolitique et la méfiance. Quelques exemples dans trois grands pays d’Afrique ces dernières semaines, dont certains démêlés par AFP Fact Check.
En Afrique du Sud, le prétendu « génocide blanc »
L’Afrique du Sud a été critiquée par la nouvelle administration américaine sur une série de sujets, notamment la promulgation récente d’une loi sur l’expropriation. « L’Afrique du Sud confisque des terres et traite certaines classes de personnes TRÈS MAL », a attaqué Donald Trump sur les réseaux sociaux en février. Mais de l’avis des experts et analystes, aucune terre n’a été confisquée et la loi précise que le gouvernement doit payer une compensation « équitable » pour toute expropriation.
L’offre de Washington de fournir un « refuge sûr » aux Afrikaners, descendants des premiers colons européens en Afrique du Sud, a ensuite ressuscité le mythe du « génocide blanc », que Donald Trump avait repris dès son premier mandat en évoquant des « meurtres à grande échelle de fermiers ».
Des publications virales sur les réseaux sociaux ont faussement affirmé que 60 agriculteurs blancs étaient tués chaque jour. D’autres ont assuré que plus de 4 000 avaient été assassinés ces six dernières années. Mais les chiffres des groupes de défense des intérêts des fermiers comme des Afrikaners font état d’environ 50 personnes de toutes catégories raciales tuées chaque année dans des fermes. Près de 3 000 individus ont été tués dans des exploitations agricoles entre 1994 et 2024, a par exemple dénombré l’Union agricole du Transvaal. Parmi les plus de 19 000 meurtres commis dans le pays entre janvier et septembre 2024, la plupart des victimes étaient des jeunes hommes noirs dans les zones urbaines, selon la police.
Les remarques de Trump sont « irresponsables », estime l’analyste politique sud-africain Gideon Chitanga, rappelant que la propriété des terres est un sujet de tensions historique. « Ce type de propagande peut en fait inciter les Noirs à s’en prendre aux Blancs, ou bien faire enrager les Blancs », explique-t-il. « Trump alimente des stéréotypes existants et les gens ne s’intéressent pas forcément à la vérité tant qu’elle correspond à leurs attentes politiques », explique Trust Matsilele, maître de conférences en journalisme à l’université de Birmingham City.
Au Nigeria, des vidéos générées par l’IA
Au Nigeria, le mouvement indépendantiste des Peuples indigènes du Biafra (IPOB), dont les partisans produisent du contenu généré par l’intelligence artificielle (IA) pour doper leur campagne, a prétendu avoir le soutien de Donald Trump. Une vidéo manipulée montrait le président américain exprimant son soutien à ce groupe, dont le fondateur est poursuivi pour trahison. D’autres publications relayaient une vidéo générée par l’IA qui prétendait montrer le président finlandais, Alexander Stubb, promettant aussi son soutien.
Lanre Olagunju, fact-checkeur et rédacteur en chef de CheckClimate Africa, estime que l’influence de Donald Trump « se répand dans le discours politique et encourage les dirigeants qui utilisent la désinformation comme outil de contrôle ». D’autres critiques du gouvernement ont profité des larges coupes dans l’aide étrangère de la nouvelle administration pour publier des messages amplifiant le taux de VIH/sida au Nigeria.
Au Kenya, le faux retrait de l’OMS
La hausse de la désinformation au Kenya a visé les divisions politiques internes au pays, qui provoquent régulièrement des violences lors des élections. Une vidéo TikTok trafiquée prétendait par exemple que l’ancien vice-président Rigathi Gachagua, destitué l’an dernier et rival du président William Ruto, avait assisté à l’investiture de Donald Trump en janvier. D’autres fausses affirmations suggéraient que le Kenya, à l’instar des Etats-Unis, avait quitté l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celles-ci se fondaient sur une ancienne vidéo liée à un médecin connu pour diffuser des « fake news » en matière de santé.
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Odanga Madung, chercheur spécialisé dans la désinformation, souligne que le retour de Donald Trump a renforcé les théories du complot d’extrême droite dans le monde entier. « La diabolisation des fact-checkeurs par Meta et les décrets coupant des programmes cruciaux tels que l’Usaid [l’Agence des Etats-Unis pour le développement international] ont fondamentalement modifié la capacité des personnes à filtrer la désinformation », juge-t-il.
A l’approche de l’élection présidentielle de 2027, Nyakerario Omari, expert en désinformation à Code for Africa, voit dans ce nouveau contexte un défi supplémentaire pour les médias kényans, déjà confrontés à la censure et à la pression politique. Selon lui, « les attaques en ligne contre les médias vont probablement se multiplier, surtout avec l’essor de la politique en ligne ».