
Figure de l’opposition turque et principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan, le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, arrêté mercredi pour corruption et terrorisme, a appelé, jeudi 20 mars, la nation turque à réagir et les juges de son pays à « ne pas se taire », en accusant le président de ne jamais rendre de comptes.
« J’en appelle aux membres du pouvoir judiciaire (…). Vous devez agir et vous occuper de cette poignée de collègues qui ternissent notre système judiciaire, nous humilient sur la scène internationale et détruisent notre réputation », a écrit l’édile dans un message posté sur X par ses avocats, au lendemain de son placement en garde à vue. S’adressant sans le nommer au chef de l’Etat, M. Imamoglu lui a reproché « d’innombrables taches dont vous ne pouvez pas rendre compte, ni dans votre pays ni à l’étranger ».
Le maire de la plus grande ville et capitale économique du pays devait être intronisé dimanche candidat du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), première force d’opposition au parlement, à la présidentielle de 2028. Mais l’annulation, mardi, de son diplôme le prive de facto de toute possibilité de briguer la magistrature suprême. Aussi met-il en garde les Turcs : « Les mêmes qui se sont emparés de mon diplôme s’attaqueront à vos biens, à votre honneur (…). En tant que nation, nous devons rester unis contre ce mal ».
Vague de mobilisation et d’arrestations
Avant même cet appel, ses partisans avaient prévu de se mobiliser jeudi pour dénoncer ce qu’ils qualifient de « coup d’Etat ». Des manifestations d’étudiants de plusieurs universités d’Istanbul se déroulaient en plusieurs points de la ville depuis la mi-journée, malgré la pluie.
La place Taksim et le parc adjacent de Gezi, lieux emblématiques de la contestation au cœur d’Istanbul, restaient interdits d’accès jeudi pour prévenir tout rassemblement, par ailleurs défendus jusqu’à dimanche par le gouverneur de la métropole. De même, l’accès à plusieurs réseaux sociaux et messageries dont X et WhatsApp était toujours restreint jeudi à Istanbul, a constaté l’Agence France-Presse (AFP). Et le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé l’arrestation de 37 personnes pour des « messages provocateurs » sur les réseaux sociaux.
Outre M. Imamoglu, plus de 80 personnes ont été interpellées mercredi et une vingtaine d’autres sont recherchées. Parmi elles, six personnes sont également accusées de « soutien à une organisation terroriste », le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement armé interdit qui s’est récemment engagé à déposer les armes. Selon les médias locaux, les interrogatoires des gardés à vue n’ont commencé que jeudi matin.
Cette nouvelle vague d’arrestations touchant l’opposition a fait baisser la livre turque : elle s’échange jeudi autour de 38 livres pour un dollar et près de 41,50 livres pour un euro, des niveaux jamais atteints jusqu’à mercredi. La Banque centrale turque a fait savoir dans un communiqué qu’elle puiserait le cas échéant dans ses réserves de change pour empêcher toute chute de la monnaie nationale, comme elle l’a fait mercredi selon des économistes.
« Tu n’es pas seul »
Le président du CHP, Özgür Özel, a appelé de nouveau à un rassemblement à 20 h 30 (18 h 30, heure de Paris) devant le siège de la municipalité, a fait savoir son parti à l’AFP.
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Mercredi soir, malgré le froid, plusieurs milliers de personnes ont répondu à son appel en scandant, entre autres, « Imamoglu, tu n’es pas seul ! ». Le président du CHP a dénoncé un « coup d’Etat contre l’opposition » et fait huer le chef de l’Etat. « On a voulu annuler la volonté du peuple », a-t-il clamé. « Il n’y a ni corruption ni groupe terroriste, mais des bourreaux de la justice aux commandes », a-t-il martelé au côté de l’épouse du maire, Dilek Imamoglu, estimant que « le seul crime d’Imamoglu est (…) d’avoir conquis le cœur des gens. Son seul crime est qu’il sera le prochain président ! ».
M. Imamoglu, qui a ravi en 2019 la municipalité d’Istanbul, est vu comme le principal rival du chef de l’Etat, qui s’est abstenu pour l’heure de tout commentaire. Les maires de plusieurs capitales et grandes villes européennes, ainsi que les ministères des affaires étrangères français et allemand ont condamné son interpellation, mettant en garde contre les conséquences pour la démocratie turque.