Dans les abysses, le poisson dragon fait les gros yeux pour mieux repérer les femelles

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Un poisson dragon (« Malacosteus niger ») aux Açores (Portugal), en août 2018.

Habituellement, les poissons dragons défraient plutôt la chronique pour leurs talents de chasseurs. Tapis au fond des abysses, dissimulés par leurs écailles d’un noir presque parfait, ces prédateurs de 15 à 40 centimètres de long profitent de leur large gueule et de dents particulièrement effilées pour croquer à peu près tout ce qui passe. Pourtant, ces créatures cachent une autre particularité, à ranger cette fois au rayon de la conquête amoureuse. Les mâles présentent des orbites oculaires plus importantes que les femelles, une exception parmi les vertébrés.

Une équipe du Boston College a annoncé cette découverte, mardi 23 juillet, dans la revue Biology Letters. Elle vient couronner une recherche que Christopher Kenaley et ses collègues poursuivent depuis vingt ans sur les systèmes bioluminescents. Car, si les poissons dragons savent se dissimuler, ils ont également besoin de se faire voir. En effet, la rareté de la nourriture à ces profondeurs de 1 000 à 3 000 mètres entraîne la rareté des individus. A l’heure de la reproduction, il convient donc de se retrouver.

Pour cela, les poissons dragons disposent de photophores qui émettent de la lumière. Les plus grands, de l’ordre du centimètre, se situent sur la tête, près de l’œil, où ils produisent une lumière bleu vert. De précédents travaux avaient déjà démontré que les mâles profitaient de photophores de plus grande taille. « Sans doute une façon de distinguer les deux sexes, un enjeu essentiel tant il leur est difficile de trouver un partenaire », avance Christopher Kenaley.

Résultat : là où une femelle peut voir un mâle à 75 mètres de distance, lui doit attendre d’être à 30 mètres d’elle pour la repérer. Un tel écart peut sembler sans importance. Sauf qu’il risque de conduire les femelles à dépenser une énergie disproportionnée pour approcher les mâles – énergie dont elles auront bien besoin par la suite.

Dimorphisme sexuel rare

Les chercheurs ont donc tenté de déterminer comment l’évolution avait pu combler ce « gap de détection ». Ils ont étudié 105 spécimens de deux espèces de poissons dragons (Malacosteus niger et Photostomias guernei) issus des collections de l’université Harvard. Faute de pouvoir mesurer avec précision le globe oculaire, qui se détériore avec le temps, ils ont examiné les cristallins – des lentilles d’environ 1 millimètre de diamètre particulièrement résistantes. Ils y ont trouvé une différence de diamètre entre mâles et femelles d’environ 5 %. « Un tel écart peut sembler mineur, poursuit le chercheur. Mais cela permet à l’œil de recevoir beaucoup plus de photons. Nous avons été d’autant plus surpris que les observations de dimorphisme sexuel au niveau de la taille de l’œil sont extrêmement rares. Les poulets, quelques serpents et un poisson de roche de la Côte ouest américaine. A ma connaissance, c’est tout. »

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