Au Sénégal, le périlleux casse-tête pour fixer la nouvelle date de l’élection présidentielle

| 3 704


Les unes de la presse sénégalaise à Dakar, le 16 février 2024.

Ceux qui se sont félicités des retours de « l’Etat de droit » et du « modèle démocratique sénégalais » après la décision du Conseil constitutionnel, jeudi 15 février, auront vite été rattrapés par les incertitudes et les querelles politico-juridiques. Car si les sages ont dédit le président Macky Sall en annulant le report de l’élection présidentielle, ils n’ont pas tranché sur tout. Ils ont laissé en suspens un point majeur en ne fixant pas de nouvelle date pour le scrutin. La question déchire déjà la classe politique sénégalaise, alors que Macky Sall a promis, vendredi, de « pleinement exécuter » la décision du Conseil constitutionnel et de « mener sans tarder » des consultations.

Une seule chose est actée par le Conseil constitutionnel : « l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue » du 25 février. Il « invite les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais ». C’est un véritable casse-tête qui s’annonce, où chacun y va de son interprétation. « Meilleurs délais » ne veut pas dire « brefs délais » ni « sans délai », souligne un député de la majorité présidentielle.

« Quand le Conseil constitutionnel parle de “meilleurs délais”, il suggère qu’il doit y avoir une passation de pouvoir avant le 2 avril, car il est hors de question que le président de la République prolonge la durée de son mandat, comme l’indique l’article 103 de la Constitution », explique Sidy Alpha Ndiaye, agrégé en droit à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Dans leur décision, les juges constitutionnels sont clairs : « la durée du mandat du président de la République ne peut être réduite ou allongée au gré des circonstances politiques », « le mandat du président de la République ne peut être prorogé » et « la date de l’élection ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat ».

Alors que Macky Sall a été suspecté durant de longs mois de vouloir briguer un troisième mandat – avant d’y renoncer publiquement en juillet –, plusieurs partis d’opposition et des mouvements de la société civile ont exigé avec force, ces derniers jours, le respect de cette date butoir du 2 avril en maintenant la pression avec des appels à marcher vendredi et samedi. Plusieurs diplomates occidentaux insistent également sur la nécessité de respecter cette échéance, assurant « faire pression » en ce sens. Quitte à ce qu’ensuite une transition ait lieu.

Un calendrier serré

Le chef de l’Etat se retrouve enfermé dans un calendrier institutionnel serré. « Le premier tour pourrait se tenir le 3 ou le 10 mars, puis un second tour le 24 mars au plus tard », compte Issa Sall, un ancien membre de la Commission électorale nationale autonome (CENA). Thierno Bocoum, juriste et ancien député d’opposition, souligne que l’article 31 de la Constitution dispose que « le scrutin pour l’élection du président de la République a lieu quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du président de la République en fonction », ce qui conduirait à fixer la présidentielle au 3 mars.

Cela annoncerait un départ en campagne express pour les candidats à la magistrature suprême, car le code électoral prévoit qu’ils ont trois semaines pour arpenter le territoire. Il faudrait donc que le décret présidentiel convoquant le corps électoral soit publié d’ici à samedi soir. Selon Issa Sall, non seulement ce calendrier est tenable juridiquement, mais il est aussi envisageable en termes techniques. « La direction générale des élections est prête. Les bulletins ont été fabriqués, certains ont même déjà été envoyés à l’extérieur du pays dans les consulats », assure l’expert, qui a organisé de nombreux scrutins dans le pays.

Restent l’impression des listes électorales et les listes d’émargement, mais Issa Sall assure que cela peut être fait dans le délai restant : « Sur le plan matériel, il n’y a aucun souci, selon mon expérience. »

Pour El Hadj Omar Diop, enseignant-chercheur à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh-Anta-Diop, il faut néanmoins envisager un léger décalage des dates du scrutin face à la situation d’exception : « Le premier tour pourrait se faire mi-mars puis le second à la fin du mois, et la passation de pouvoir serait décalée de dix jours au maximum. Ce serait acceptable car nous sommes dans une situation particulière. »

Suivez-nous sur WhatsApp

Restez informés

Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique »

Rejoindre

Macky Sall a aussi la possibilité de démissionner le 2 avril, laissant le pouvoir entre les mains du président de l’Assemblée nationale, que la Constitution charge d’assurer l’intérim et qui devra organiser un scrutin dans les 90 jours. « Tout est faisable, il faut seulement qu’il y ait une volonté politique », assure El Hadj Omar Diop.

« Décision d’orgueil »

« S’attacher au 2 avril est une obsession regrettable », tance Cheikh Seck, député de la majorité. Seydou Gueye, le secrétaire général au gouvernement, assure de son côté que matériellement, « il y a de fortes chances de ne pas pouvoir tenir l’élection avant le 2 avril ». Selon lui, une nouvelle date consensuelle doit être trouvée « dans le cadre d’un dialogue avec tous les acteurs » afin d’arriver « à un processus régulier et transparent, avec des contestations nulles ou marginales, pour donner une vraie base au prochain président ».

Au sein de Benno Bokk Yakaar, la coalition au pouvoir, plusieurs voix s’élèvent pour contester la décision du Conseil constitutionnel, soulignant que celui-ci est accusé d’avoir été manipulé par le candidat du pouvoir lors de la validation des candidatures. « C’est une décision d’orgueil de la part de cette juridiction gravement mise en cause. Quel crédit peut-on accorder à ces juges ? On s’expose à une grave crise post-électorale », poursuit Cheikh Seck, qui souligne que des élections ne peuvent être arbitrées de façon crédible et impartiale par cette juridiction dans ces conditions. Un des juges mis en cause pour corruption a d’ailleurs décidé de ne pas siéger le 15 février.

« Pour fixer les “meilleurs délais”, il faut d’abord régler les points sur lesquels le Conseil constitutionnel a été mis en cause, puis il faut prendre en compte le calendrier social et climatique : le ramadan, le Magal de Touba [une importante fête religieuse], l’hivernage [la saison des pluies, qui dure de juin à octobre]… », énumère le député. La nouvelle date serait alors proche de celle qu’avaient fixée les députés et qui a été retoquée par le Conseil constitutionnel, soit le 15 décembre.

Une option qui pourrait également séduire plusieurs acteurs politiques d’opposition, comme Ousmane Sonko et Karim Wade, qui avaient été éliminés de la course à la présidentielle par le Conseil constitutionnel et dont le retour dans le processus électoral était au cœur des négociations de ces derniers jours.



Source link