A première vue, rien ne distingue Wargnies-le-Grand des communes voisines : une artère principale la traverse de part en part, quelques ruelles abritent d’anciennes fermes réaménagées en maisons modernes et une église trône fièrement face à un pâturage où paissent des moutons. Pourtant, ce modeste village du Nord de 1 150 âmes, situé à une dizaine de kilomètres de Valenciennes et à la lisière de la Belgique, est marqué du sceau d’une tradition unique en France. Depuis le XIVe siècle, les habitants sont conviés, une fois l’an, à la « grande aumône ». La dernière vient de se tenir le 23 mars.
Cette tradition séculaire consiste à reverser à chaque habitant le produit du fermage des 15 hectares de la commune. Des terrains sur lesquels sont aujourd’hui installés des agriculteurs locaux cultivant des céréales, de la pomme de terre ou encore du maïs, en contrepartie d’un loyer versé à la municipalité. Soit un revenu d’environ 3 000 euros pour l’ensemble des terres, divisé à parts égales entre les habitants, enfants compris. Chacun peut ainsi bénéficier de la modique somme de 2,60 euros, à condition d’avoir été recensé auprès de la mairie avant le 30 novembre de l’année passée.
« Ce sont quelques pièces, mais pour nous c’est surtout symbolique », confie Martha Genva, une habitante de 89 ans qui a toujours habité à Wargnies-le-Grand. Petites pinces retenant ses cheveux blancs mi-longs et long gilet en laine par-dessus un pull gris, l’octogénaire se tient prête à récupérer son « dû ». « J’y allais déjà petite avec mes parents, puis avec mes enfants. Je n’en ai jamais loupé une seule. » Sur un bout de papier, elle a griffonné l’histoire de cette tradition que ses aïeux lui ont racontée. « Au XIIIe siècle, pour repeupler la population décimée par une épidémie de peste, ceux qui venaient s’installer dans le village pouvaient prétendre à recevoir de l’argent », évoque-t-elle, tout en concédant ne pas être certaine des origines exactes de cette grande aumône.
Entre Histoire et légende
« Personne ne peut l’être. Comme toute grande histoire, celle-ci a sa part de légende », abonde Bernard Beaufort, premier adjoint au maire depuis 2014. Celui qui est surnommé « M. Patrimoine » a multiplié les recherches pour percer le mystère. La thèse de l’épidémie ? Il en a entendu parler. Mais, selon lui, le début de la grande aumône se situerait plutôt vers 1340, pendant la guerre de Cent Ans. « Le comte de Hainaut, qui assurait la seigneurie de Wargnies-le Grand à cette époque, aurait eu la mauvaise idée de se rallier aux Anglais pour des intérêts économiques. En représailles, le roi de France, Philippe VI de Valois, aurait envoyé sur place son armée pour se venger. »
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