
Volontiers caustique, le ministre polonais des affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, ne recule jamais devant un bon mot. Le 16 mai, à Tallinn, face à un public européen, il partage la scène avec son homologue estonien, Margus Tsahkna, et le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à l’OTAN, Matthew Whitaker, fraîchement nommé par Donald Trump. Les deux Européens plaident pour que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, soit invité au sommet de l’OTAN, les 24 et 25 juin à La Haye – un geste politique auquel ils savent Washington hostile. « Pour être franc, interjette alors Radoslaw Sikorski, j’adorerais voir Poutine à La Haye aussi ! » L’Estonien s’esclaffe, la salle éclate de rire. L’Américain reste de marbre.
A-t-il voulu éviter d’approuver l’ironie du Polonais ? Ou bien n’a-t-il pas compris la flèche décochée par le ministre polonais, parce qu’il ignore que La Haye est aussi le siège de la Cour pénale internationale (CPI) ? Les Etats-Unis ne sont pas signataires du statut de Rome, fondateur de la CPI, et le mandat d’arrêt lancé contre le président russe pour crimes de guerre leur importe peu – encore moins à leur président actuel, qui soigne ses relations avec Vladimir Poutine. Pour les Européens, en revanche, l’initiative de la CPI a marqué un moment important dans la guerre en Ukraine : elle faisait intervenir le droit contre un dirigeant qui ne croit qu’à la force.
Anecdotique, l’épisode de Tallinn illustre néanmoins le fossé grandissant entre l’Europe et les Etats-Unis à propos du droit international. Alors que les piliers du multilatéralisme s’effondrent les uns après les autres, l’Union européenne veut croire qu’elle peut continuer à fonctionner sur la base de la règle de droit. Elle l’invoque constamment, notamment pour faire condamner l’agression russe en Ukraine.
Un précédent plus récent
Comment ne pas s’étonner alors de la position adoptée par plusieurs dirigeants européens, dont le président français, Emmanuel Macron, le premier ministre britannique, Keir Starmer, et le chancelier allemand, Friedrich Merz, sur l’attaque de l’Iran par Israël ? Juridiquement, elle est paradoxale. Justifier cette offensive par le droit d’Israël à se défendre contredit le droit de légitime défense reconnu par la Charte des Nations unies : l’Iran menace bien l’Etat hébreu en cherchant à se doter de l’arme nucléaire, mais il ne l’a pas attaqué. Si les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique ont pu constater que l’Iran progressait dans son projet de construction de l’arme nucléaire, ils n’ont pas non plus établi qu’elle était devenue une réalité.
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