La société de livraison rapide de repas Frichti, reprise par La Belle Vie, et ses deux anciens dirigeants seront jugés en novembre à Paris pour travail dissimulé et emploi illégal d’étrangers au préjudice de très nombreux ex-livreurs, a appris l’Agence France-Presse (AFP), jeudi 23 janvier, de sources proches du dossier. Julia B., 36 ans, et Quentin V., 38 ans, respectivement ancienne présidente et ancien directeur général de Frichti, qu’ils ont revendu en mars 2022, seront jugés du 13 au 21 novembre par le tribunal correctionnel de Paris.
« Nos clients contestent toute infraction et sont dans l’incompréhension », d’autant qu’« aucun texte, ni aucune décision de justice n’interdisaient le recours à des travailleurs indépendants », ont assuré jeudi à l’AFP leurs avocats, Mathias Chichportich et Jérémy Gutkès. « S’ils réservent leurs déclarations au tribunal, ils sont déterminés à faire valoir leur bonne foi et leur innocence », ont ajouté ces deux conseils.
D’après la source proche du dossier, il est reproché aux deux prévenus d’avoir « recouru » entre 2015 et la mi-2021 « à des sociétés sous-traitantes ou à des travailleurs sous statut d’indépendants », au moins une cinquantaine, « alors que ceux-ci étaient placés dans un lien de subordination juridique ». Ils seront aussi jugés pour emploi illégal d’étrangers pour au moins une trentaine de livreurs, pour la grande majorité de nationalité sénégalaise ou ivoirienne.
Préjudice de près de 3 millions d’euros pour l’Urssaf
Selon des éléments de l’enquête, auxquels l’AFP a eu accès, confiée par le parquet de Paris à la brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) et à l’inspection du travail, les investigations ont montré que « le livreur ne choisissait pas ses clients, le tarif de facturation lui était imposé et il ne pouvait pas organiser son parcours comme il le souhaitait ». L’enquête a aussi mis au jour un possible « système de sanction » pour les livreurs jugés non fiables.
Lors d’une audition en mai 2022, Julia B. avait assuré n’avoir « jamais eu l’intention d’enfreindre la loi », affirmant n’avoir « pas [eu] conscience » au début de l’aventure Frichti « de ces éléments ». « Frichti n’est pas une plateforme de livraison » ou une « application de mise en relation », mais « une société dans laquelle des centaines de salariés ont développé des recettes, ont cuisiné et préparé des commandes », ont argué MM. Chichportich et Gutkès. « La livraison ne représentait que 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise », ont-ils ajouté.
En 2022, l’Urssaf avait évalué dans un rapport son préjudice à près de 3 millions d’euros de charges et cotisations sociales non versées pour les années 2019 et 2020. « Les faits reprochés sont parmi les pires dans ce type de dossiers », a asséné de son côté Kevin Mention, avocat des livreurs, interrogé par l’AFP, rappelant la centaine de procédures engagées aux prud’hommes. « La grande majorité de ces coursiers étaient des sans-papiers, qui ont, pour la plupart, été remerciés lorsque ça a commencé à fuiter dans les médias », a-t-il dénoncé, assurant que les faits se sont perpétués après 2021, fin de la période visée par l’enquête.
Jérôme Pimot, du collectif des livreurs autonomes des plateformes (CLAP), espère que cette audience va « envoyer un gros signal à toutes les plateformes qui emploient des sans-papiers sur le compte de l’autoentrepreneuriat, afin qu’elles puissent les régulariser, et non les licencier ».
Après une arrivée en fanfare sur fond de confinements liés à la pandémie de Covid-19, les acteurs du « quick commerce » s’étaient entredéchirés dans une bataille concurrentielle féroce. En mars 2023, une réglementation très contraignante a porté un coup d’arrêt aux acteurs survivants du secteur. A la suite de cette décision, Frichti, revendue en mars 2022 à l’Allemand Gorillas, avait été placée en redressement judiciaire. Le groupe La Belle Vie a repris l’activité de Frichti en septembre 2023, mais en créant une nouvelle entité, ce qui lui a permis de ne pas hériter du lourd passif de la société historique, en liquidation judiciaire.
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Très contesté, le statut d’indépendant des coursiers est remis en cause par la justice dans de nombreux pays. Un accord politique a été trouvé en mars par les pays de l’Union européenne, mais sans la France ni l’Allemagne, pour renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques.