Au Pakistan, le Parlement adopte une réforme judiciaire controversée

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Le Parlement pakistanais a adopté, lundi 21 octobre, une réforme constitutionnelle élargissant ses pouvoirs sur la Cour suprême, dans le cadre d’un vote largement boycotté par l’opposition, qui a dénoncé un moyen d’« étouffer » la justice.

Cette réforme, que le gouvernement tentait de faire passer depuis plusieurs semaines, a été adoptée quelques jours avant que le président de la Cour suprême, le juge Qazi Faez Isa, ne prenne sa retraite. Sans cette révision, le juge Mansoor Ali Shah aurait dû prendre la tête de la Cour suprême, dont il est le doyen. Ce magistrat a systématiquement émis des verdicts jugés favorables à l’ancien premier ministre emprisonné, Imran Khan, ancien joueur international de cricket, âgé de 72 ans.

Le président de la Cour suprême sera désormais désigné par une commission parlementaire pour un mandat de trois ans. Le sortant était jusqu’à présent automatiquement remplacé par le membre le plus âgé de la Cour. « L’objectif de ces amendements est de bloquer les décisions de justice qui entravent [le fonctionnement] du Parlement », a expliqué samedi le ministre de la défense, Asif Khawaja. « Nous ne ferons pas de compromis sur la suprématie du Parlement », a-t-il souligné.

« Face sombre »

Le Pakistan Tehrik-e-Insaf (PTI), parti d’opposition, a boycotté le vote. Omar Ayub Khan, son chef de file, a dénoncé des amendements « ayant pour effet d’étouffer un système judiciaire libre ». « Ils ne représentent pas le peuple pakistanais », a-t-il déclaré en séance. « Un gouvernement constitué par la fraude ne peut pas amender la Constitution », a-t-il clamé.

Le PTI est arrivé en tête aux élections législatives de février, entachées d’allégations de fraude, et ne cesse de répéter qu’il aurait de fait dû former le gouvernement, actuellement tenu par une coalition dirigée par Shehbaz Sharif. Les tensions se sont récemment accrues entre le gouvernement et les institutions judiciaires.

En juillet, la Cour suprême avait affirmé que la commission électorale avait eu tort de forcer les candidats du PTI à concourir comme indépendants aux législatives. Elle avait également accordé au parti de M. Khan une vingtaine de sièges parlementaires non soumis au suffrage et réservés aux femmes et aux minorités religieuses.

Bilal Gilani, qui dirige le principal institut de sondage du pays, considère ces amendements comme des « gains », notamment en matière de rééquilibrage et d’impartialité des juges. « La réforme a une autre face, sombre : elle crée un système judiciaire plus réceptif aux préoccupations du pouvoir », ajoute-t-il. « Au vu des anciens différends (…), ces changements pourraient déclencher une nouvelle confrontation entre le clan de la justice et le gouvernement », écrit quant à lui l’éditorialiste de Dawn, le journal de référence en anglais. La réforme, adoptée à l’aube, prévoit en outre la création d’un Conseil constitutionnel.

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Courte majorité

Le parti du premier ministre, Shehbaz Sharif, le Pakistan Muslim League-Nawaz (PML-N), est parvenu à rassembler la majorité des deux tiers nécessaire pour l’adoption de ce texte grâce au soutien de son rival historique, le Parti populaire pakistanais (PPP). Il a aussi rallié les suffrages d’une poignée de députés affiliés au PTI, après la décision, quelques semaines plus tôt, de la justice d’autoriser les parlementaires à passer outre les consignes de vote de leur groupe pour certains textes majeurs. M. Sharif a salué « un jour historique qui affirme la suprématie du Parlement ».

Depuis la partition de l’Inde, en 1947, la Constitution pakistanaise a été amendée vingt-deux fois. M. Khan a vu ses affaires judiciaires, souvent liées à des allégations de corruption, passer devant différents tribunaux, dont l’un a ouvertement fait état d’intimidations de la part des services de renseignement pakistanais. En juillet, un panel d’experts de l’ONU avait jugé sa détention « arbitraire » et réclamé sa libération immédiate. Les partisans d’Imran Khan s’étaient massivement mobilisés lors de son arrestation, il y a plus d’un an, et continuent à manifester régulièrement.

Les autorités ont récemment imposé de nouvelles restrictions aux rassemblements à Islamabad. Dix députés du PTI avaient été arrêtés et présentés à un juge antiterroriste quelques jours après l’adoption de cette loi. Arrivé au pouvoir en 2018, M. Khan a été renversé par une motion de censure en 2022 après avoir perdu le soutien de la toute-puissante armée, selon les experts.

Le Monde avec AFP

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