
Il y a quatre ans, pendant la pandémie de Covid-19, Iryna Kravchenko, cadre dans une grande banque de Kiev, parlait vacances avec un collègue. Celui-ci lui conseilla d’aller à Berlin. « C’est une ville formidable, je suis sûr que ça te plairait », lui dit-il. « Ça ne me tente pas du tout. Quand on pourra de nouveau voyager, j’irai à la mer et au soleil, mais certainement pas en Allemagne », lui répliqua-t-elle.
Le collègue avait raison. Aujourd’hui, Iryna Kravchenko aime tellement Berlin qu’elle a dû mal à imaginer vivre ailleurs. Elle y a pourtant débarqué dans les pires circonstances. C’était le 8 mars 2022. Douze jours plus tôt, les troupes russes avaient envahi l’Ukraine et, comme des dizaines de milliers d’habitants de Kiev, Iryna était partie dans la précipitation, avec pour seul souci de protéger ses trois fils et leur petite chienne des bombardements. Après une halte dans un village de l’ouest du pays, ils étaient passés en Pologne et avaient rejoint Varsovie. Là, une connaissance avait proposé de les héberger, mais pas plus de quatre jours.
Iryna a alors eu l’idée de poster un message sur un groupe Facebook d’aide aux réfugiés ukrainiens. « Seize minutes plus tard, raconte-t-elle, une dame de Berlin disait qu’elle était prête à accueillir une famille de quatre personnes avec un chien. Je n’arrive toujours pas à croire que notre arrivée dans cette ville s’est jouée en seize minutes. »
Il n’y a bien sûr pas de portrait-robot « du » réfugié de guerre ukrainien, mais s’il fallait se risquer à un tel exercice, Iryna Kravchenko pourrait servir de modèle. D’abord parce que c’est une femme, comme 80 % des quelque 4,3 millions de personnes qui ont fui l’Ukraine après le 24 février 2022 et bénéficiaient du statut de « protection temporaire » dans l’Union européenne (UE) au 31 décembre 2023. Parce qu’elle vit en Allemagne, le pays de l’UE qui en compte le plus grand nombre (1,1 million), devant la Pologne (956 000), la République tchèque (373 000), l’Espagne (194 000) et l’Italie (161 000), et très loin devant la France (65 000), au quinzième rang sur vingt-sept. Enfin, parce qu’elle a 40 ans, soit l’âge moyen des réfugiés de guerre ukrainiens enregistrés en Allemagne, et qu’elle est venue avec ses enfants, comme 58 % des Ukrainiennes qui s’y sont installées depuis 2022.
« Incroyable élan de générosité »
Si l’histoire d’Iryna Kravchenko fait écho à beaucoup d’autres, c’est aussi par ce qu’elle raconte de l’accueil et de l’intégration des étrangers outre-Rhin. Et pour elle, c’est l’évidence : « Le positif l’emporte très largement sur le négatif », assure-t-elle, en refaisant le film des deux dernières années : « l’incroyable élan de générosité » des débuts, quand « des tas de gens ordinaires venaient trouver les Ukrainiens pour offrir des vêtements ou des jouets, parfois tard le soir après leur travail » ; l’appartement que finance l’agence pour l’emploi, un fonctionnel 86 mètres carrés situé dans le quartier résidentiel de Charlottenburg, qu’elle a eu la chance d’avoir « en seulement deux mois » ; la satisfaction d’avoir trouvé une école « à quinze minutes de la maison », et surtout la « fierté » de voir ses fils, 10, 12 et 18 ans, « apprendre si vite l’allemand ».
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