PUBLIC SÉNAT – VENDREDI 13 DÉCEMBRE – 22 H 00 – DOCUMENTAIRE
L’armée française lèvera-t-elle un jour le voile du secret sur la section d’épreuves de la Légion étrangère (SELE), le camp disciplinaire de Corte (Haute-Corse), où 400 jeunes militaires ont enduré le martyre de 1969 à 1976 ? Le documentaire de Guy Beaugé revient sur ce « monastère de la dernière chance », destiné à remettre sur le droit chemin les déserteurs et les fortes têtes, livrés au sadisme d’officiers et sous-officiers portant le képi blanc.
Le camp du domaine Saint-Jean avait pris la suite de la SELE du Sahara, dissoute en 1964, deux ans après les accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie, et donnait comme tâche aux 30 disciplinaires envoyés là pour trois mois, encadrés par presque autant de geôliers, de « réaliser des travaux militaires et d’intérêt public à Corte ».
Trois survivants aujourd’hui septuagénaires sont le fil rouge de ce documentaire empreint de pudeur. Michel Trouvain, qui réside aujourd’hui dans le Midi, fut prisonnier pendant huit mois et vingt et un jours et a tenté de s’en évader deux fois. Il « entend encore les voix » de ses bourreaux hanter les vestiges. Sous l’œil de la caméra, l’ancien légionnaire refait « [son] chemin de croix » et reprend la « piste rouge », la route d’accès au bagne sur laquelle les nouveaux rampaient avec leur barda.
La « colline des hommes perdus »
Dans le camp fantomatique, dont il ne reste qu’une baraque décrépite et quelques constructions taguées, Luc Rosier ressent lui aussi cette « angoisse ». Il se souvient des séances de « frigo », une cellule ouverte au froid glacial, sans boire ni manger, où le disciplinaire, nu, luttait contre l’hypothermie alors qu’un gardien versait de l’eau au sol pour qu’il gèle. La SELE, c’était « douze heures de travaux forcés par jour l’hiver, seize en été », avec en prime les brimades, souligne Daniel Potier, seul des trois légionnaires à ne pas s’être rendu sur les lieux − mais seul à avoir réussi à s’en évader…
Des supplices dignes du mythe de Sisyphe. Les disciplinaires, parfois enchaînés et traînant un boulet, devaient taper 800 coups par heure sur un rocher avec la « Johnny », une masse de 16 kilos ; courir en rond pendant des heures sur un circuit en forme de huit comme des animaux en cage ; vider une colline de terre dans un seau avec une simple cuiller − ce que les militaires nommaient la « colline des hommes perdus », en référence au film de Sidney Lumet (1965) avec Sean Connery. Luc Rosier narre avoir été attaché à un poteau avec un poids sur la tête, oublié du monde pendant deux jours et deux nuits. Et puis il y a les viols que Michel Trouvain dit avoir subis presque quotidiennement.
Le camp de la SELE a fermé après le double assassinat de bergers dans le village voisin de Bustanico, le 24 septembre 1976, par un déserteur de la Légion qui ne provenait pas du camp.
Le documentaire ne dit pas combien de disciplinaires y sont morts, sans doute une vingtaine ; combien d’officiers ont été condamnés lors du procès de 1978. L’omerta militaire a effacé les traces, mais les plaies demeurent béantes. « La section d’épreuves, ce n’est pas la Légion, mais un dérapage de ce corps d’élite », pondère le journaliste de Corse-Matin Noël Kruslin. Pour les anciens militaires, c’était l’enfer sur terre.
Les Larmes de la Légion, écrit et réalisé par Guy Beaugé (Fr., 2023, 51 min), produit par Bonne Pioche Télévision, Storia Productions, en coproduction avec France 3 Corse ViaStella